• Se glisser dans les interstices d'une vie comme dans des espaces de liberté. Le réel bride l'imaginaire. Les personnages historiques engluent les mots dans la glaise du contraint. Un cadre d'où débordent des envies d'interprétation et de dépassement. Se documenter, vérifier, recouper et gommer, à la fin, les envolées auxquelles on s'est laissé aller, endiguer les débordements et suivre le cours d'un récit dont on guette les trous pour s'y engouffrer, plonger dedans tête et divagations premières et ouvrir le champ des possibles fictionnels. Les contradictions entre historiens, biographes et autres experts de la vérité sont du miel pour les rêveurs et les goûteurs d'illusions, source d'inspiration pour les faiseurs de mondes alternatifs.
    S'appuyer sur le réel pour mieux s'élancer dans le vide à combler… et inventer. 

    S'appuyer sur le réel


    votre commentaire
  • D'abord, il n'y a rien. Du rien surgit un mot, puis deux, puis trois. Le fil se déroule. Je tire dessus. Les mots tombent, se bousculent, dilatent cet espace qui grandit à mesure qu'ils s'accumulent. Le verbe se fait chair. La phrase de la Genèse ne prend jamais aussi bien tout son sens, que là, à ce moment où le texte se constitue, où un monde se crée lettre après lettre. 
    C'est un mystère qui ne cesse de m'étonner et qui me plonge à chaque fois dans un état d'exaltation. Il suffit de peu de mots, de quelques uns qui en entraînent d'autres, pour qu'une histoire, qu'un univers apparaisse, un qui n'existait pas quelques heures auparavant, dont je n'avais pas conscience, dont je ne savais pas que je le recelais en moi et qui jaillit sans raison, qui se fonde sans que je l'aie prémédité. Certes il faudra tout revoir, retravailler, polir, mais cette étape-là, la plus longue, je la maîtrise, elle relève d'un labeur raisonné, planifié ; la matière est là. Et je me plais à imaginer que cet hypothétique Dieu de la Genèse n'a pas fait autrement, qu'il a créé le monde sans arrière-pensée, l'a construit au fur et à mesure et pris comme il venait au fil de sa plume, selon son humeur, au gré de ses impératifs narratifs, reflet de son esprit malade et tortueux, de son inconscient trouble ; sauf que le vieux barbu, le poil dans la main, après ses biffures de Babel et du déluge s'est vite résigné et dispensé de revenir dessus et de le corriger.
    C'est un mystère et à chaque fois un miracle. Un miracle dont je ne sais jamais s'il va se reproduire. Je crains toujours que la source soit tarie. Je me sens vide, redoute ce moment où il faudra que je me lance. Ce qu'on appelle l'angoisse de la page blanche. Le repousse de peur d'y être confronté. Je n'ai plus rien à dire, j'ai raconté ce que je devais ; je suis persuadé que le souffle s'est éteint. Je m'exhorte néanmoins, me force à m'y mettre. Je m'installe à ma table. Un mot. Puis deux. Et à nouveau, je suis Dieu.

    Genèse


    votre commentaire
  • J'ai des milliers de mots sous le coude. Romans, nouvelles en recueils ou pas, textes en recueils ou pas. Prêts à, en attente de. Qui n'aspirent qu'à un peu de lumière. Des milliers d'autres en cours, en chantier, en construction, en germe, qui se bousculent derrière, réclament leur place dans une file d'attente qui ne cesse de s'allonger. 

    C'est triste, des mots qui ne s'envolent pas.

    Bousculade


    votre commentaire
  • Les mots recuits au goût du jour. Dix, quinze, vingt ans passent et j'exhume un rêve de lettres, remets le chantier sur la table. Je me dis que ça n'est pas si mal, que ç'aurait pu être pire. J'enlève la poussière ; un monde reprend vie. Mes pas sur les miens, je ne suis plus le même auteur. Je me canalise, coup de vieux. Vais à l'essentiel. Une deuxième jeunesse.
    Je ne veux pas me trahir.

    Reprise


    2 commentaires
  • Chevaucher l'idée n'est pas la dompter. Je cherche à en saisir l'encolure. Une ruade et me voilà au sol, hagard, dans la nostalgie des trois secondes où, transcendé par l'illusion éphémère de sa clarté, j'ai tenu bon.

    Rodéo


    votre commentaire
  • Personnage fantôme prend vie sous les doigts. Pure création ou double inspiré. Le vertige vient quand la confusion s'immisce. Qui procède du réel ? De qui procède le réel ? Comme ses souvenirs dont on ne sait plus si on les a vécus, dont on se rend compte qu'ils sont une construction de notre esprit. Un rêve ou un cauchemar gravé dans la mémoire qui nous fait douter du passé. Scène fantasmée que l'on se rejoue alors qu'on ne l'a jamais jouée. Le trouble nous saisit quand la séquence se pare de perversité. Elle requiert un effort de conscience pour qu'on l'évacue de nos possibles passés. L'on ne peut s'empêcher de penser que l'on se protège. Que l'on s'aveugle. Une barrière mentale. Le refoulement de nos déviances dans le subconscient. Pendant quelques minutes, l'on vacille, l'on ne sait plus qui l'on est, si l'on a vécu cette scène aux effets déflagrants, qui nous détruirait si elle s'avérait. La folie guette. L'esprit est au bord du gouffre. Sur le fil, il faut se garder de basculer. On s'accroche à l'histoire officielle.

    "Le réel et son double"


    votre commentaire
  • Je m'y remets toujours. J'en ai plein la mémoire de mon ordinateur ; j'en rajoute encore. Des mots en ribambelles. Des histoires qui me font oublier l'absurdité de mon geste : combler le néant.
    Au moins, quand j'écris, j'oublie que ça ne sert à rien. 

    Distraction

    Sisyphe, d’après José de Ribera, musée du Prado — [2], Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=53249604


    votre commentaire
  • Je tiens un journal dans lequel je m'enlise. Son échéance recule, suspendue à un événement qui n'arrive pas. Je suis condamné à le poursuivre. Perpétuité que je me suis à moi-même infligée. Un nouveau supplice pour un fait qui n'a pas eu lieu.
    Tous ces mots qui m'entravent. Tous ces textes sur lesquels je ne parviens à tirer un trait, sur lesquels je reviens sans y revenir. Autour desquels je tourne et dont je voudrais m'affranchir pour passer, l'esprit libéré, à de nouveaux horizons. Beaucoup de textes non publiés, et en particulier ceux au long cours, sont des boulets à mes pieds qui m'empêchent de tourner leurs pages.

    Tourner les pages


    votre commentaire
  • J'ai des bouts de ficelles que je noue les uns aux autres. Les raccords sont grossiers. La toile se tisse néanmoins. Il en surgit des accrocs qui donnent des lignes de fuite prometteuses. La corde est raide et peu sûre. Je la remonte ; on ne sait jamais. Des fois qu'en l'étirant, elle me claque entre les doigts et que l'éclair jaillisse. Je m'accroche aux aspérités du tissu pour avancer. Il reste des trous que la raison recommande de contourner. Je plonge dedans, tête la première. Et perds le fil.

    Tisser la trame


    votre commentaire
  • Y revenir encore et encore au risque de dénaturer. L'équilibre est difficile à garder. Et l'épuisement du texte, une lame à double tranchant. Le fil est rompu. Le basculement vers le dépouillement. On assèche. On saigne à blanc. On enlève le gras jusqu'à racler l'os. La moelle comprimée éclate, fuit par les fissures de l'écriture qui craque. Exuvie ratatinée. À la fin ne reste qu'un mot que, de rage, on efface.

    Purge


    4 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique