• Le chaînon manquant

    Il l'a trouvé. Entre le singe et l'homme, le chaînon manquant encagé dans son musée. L'une des attractions les plus courues du moment.
    Barnum a tout de suite perçu le potentiel de ce fils d'esclaves quand son collègue le lui a présenté. Son crâne allongée, son nez épaté, sa mâchoire proéminente lui conféraient des airs d'origines de l'humanité que la couleur de sa peau ne pouvait contredire. Ce William Henry Johnson attirerait les foules, il en était persuadé. Il suffirait de lui raser la tête en lui laissant une mèche folle, de le couvrir d'une peau de bête, de lui demander de brailler quand les visiteurs passeraient devant lui et de lui inventer une histoire carabinée. 
    — On vous a trouvé à poil dans les arbres au milieu d'une forêt d'Afrique parmi vos congénères en compagnie de gorilles. 
    William Henry Johnson a enregistré l'information.
    — Vous vous appellerez Qu'est-ce que c'est ? ; ça collera mieux avec votre air idiot et votre personnage.
    Barnum a sorti le contrat, l'a tendu à la prochaine sensation de sa ménagerie, qui s'est empressée de le signer. 


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  • Il a débuté chez Barnum. À bonne école, le bonhomme. Aboyeur de cirque dans la grande maison, il a retenu les leçons de la figure tutélaire, a repris sa méthode à son compte. Colonel Parker qui n'a rien d'un colonel et rien d'un Parker a mis ses pas dans les pas de Barnum, à l'intox s'est forgé une réputation. Une filiation, le rêve américain, pour qui sait saisir sa chance et tromper son monde. Il a suffi qu'il repère son Monstre, celui qui lui apportera aisance et pouvoir, le jeune Elvis, comme Barnum a eu son Tom Pouce. 

    Colonel Parker Barnum

    Par Auteur inconnu — eBay, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46927835


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  • Un sentiment filial

     

     

    Il lui a tout appris. Chant, danse, théâtre. Dès ses quatre ans, sur scène. Biberonné aux arts du showbiz. Soumis à une discipline de bête de foire.
    Barnum s'est penché sur son berceau, l'a tiré de sa misère annoncée et intronisé clou du spectacle. Charles Sherwood Stratton avec sa tête de pactole devint Tom Pouce et pourvoyeur attitré d'espèces sonnantes et trébuchantes. À deux ou trois reprises, il aurait appelé son agent : papa

     

     

     

     

    American dwarf entertainer Charles Sherwood Stratton, a.k.a. Tom Thumb (1838-1883) - Auteur inconnu


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  • L'heure des bilans

     

     

    Elle a bien roulé sa bosse. Tant de rencontres, de voyages. Elle a multiplié les expériences, enchaîné les aventures. Une existence riche et remplie. Clémentine se caresse les poils. C'est à eux, qu'elle doit ça : cette réussite, cet accomplissement. Elle pose la plume à côté de son cahier où elle couche ses souvenirs. Recule dans son fauteuil et réfléchit à sa destinée. Elle mesure la chance qu'elle a eu. Oui, elle la mesure. Un système pileux déficient et toute sa vie se serait déroulée entre les quatre murs d'un petit commerce, dans une ville un peu trop tranquille. 

     

     

     

    Illustration : Clémentine Delait par Scherr (1923)
    https://wellcomeimages.org/indexplus/image/V0048556.html
    https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=33733761


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  • Fernande

    Fernande n'aime pas quand sa maman l'enlace.
    — Tu piques, lui reproche-t-elle.
    Clémentine ne peut s'empêcher de serrer son "enfant chérie" contre elle. Elle la prend dans ses bras, la cajole, l'embrasse. Fernande se raidit, s'écarte du visage de sa mère.
    — Lâche-moi.
    Clémentine accuse le coup. Sa fille adoptive ne lui manifeste guère d'affection ni de reconnaissance, malgré tout ce qu'elle fait pour elle.
    — Tu n'es pas gentille.
    Elle boude. Soupire. Ne la retient pas. Elle se lisse la barbe. Elle n'a pas le poil dur, pourtant. La caresse est soyeuse. Rien à voir avec la moustache rugueuse de Joseph.
    — Tu n'es pas si rétive avec papa, lui reproche-t-elle.
    Fernande hausse les épaules. Les baisers de son père n'ont rien à voir.
    — Papa, il pique pas.
    Clémentine tique. Ça n'est pas son avis. Sa poitrine et son ventre gardent une impression différente des passages de sa bouche.
    — Il pique pas, précise Fernande, il gratte.

     

    Illustration : Par Scherr — Madame Delait, the bearded lady of Plombières, head and shoulders portrait. Photographic postcard by Scherr, 1923. Iconographic Collections Keywords: Scherr; Clementine Delait 


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  • Rendez-vous manqué entre Barnum et Elephant Man

    Il aurait bien voulu l'avoir à son tableau de chasse, ce Joseph Merrick. Son succès à Londres témoignait de son potentiel. Il n'ose imaginer son triomphe aux États-Unis, s'il était tombé entre ses griffes de magicien. Il en aurait fait l'une de ses attractions phares ; il aurait plu des dollars.
    Peu importe que sa tournée en Europe continentale ait viré au fiasco. Ils ne savent pas y faire, ses collègues du vieux monde. Complètement dénués d'esprit entreprise et d'imagination. Voyez cette terne histoire d'accident pendant la grossesse de sa mère ! Ce n'est pas avec ce genre de fables qu'on risque de faire sauter la banque. Barnum, lui, l'aurait enveloppé à sa sauce, le secret des origines de l'Elephant Man. Il aurait inventé une liaison contre-nature, l'enfantement d'une chimère, d'un être hybride. Bref, un récit bien accrocheur, du genre qui frappe les esprits, suscite les curiosités les plus malsaines et remplit les tiroirs-caisses.
    Barnum s'en mord les doigts. Il a manqué l'occasion. Il a malencontreusement dédaigné son cas. Il s'est aperçu de son erreur de jugement quand le bonhomme s'est fait rouler par son imbécile d'imprésario. La naïveté de Merrick lui a sauté aux yeux. Et les naïfs, Barnum les affectionne. Il suffit de pas grand chose pour en tirer le maximum, et ce sans qu'ils se plaignent jamais. Il a tenté de rattraper le coup, a multiplié les démarches pour s'assurer ses services et leur exclusivité et même proposé une offre qui ne se refuse pas afin de s'approprier ses talents. En vain. Frederick Treves, le jeune médecin qui avait pris Elephant man sous sa coupe et sa protection à son retour en Angleterre n'a rien voulu entendre. 

    Nota : ceci est bien sûr pure spéculation de l'auteur de ce blog.


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  • Lindmania

    Tournée triomphale du rossignol suédois.
    L'ange chantant sillonne les États-Unis et suscite un tel engouement que dans la presse l'on parle d'une Lindmania. Barnum qui l'a embauchée sans l'entendre, attiré par le seul son du tiroir-caisse qu'elle laissait dans son sillage en Europe, se frotte une fois de plus les mains. Son sens du business, l'achat de critiques favorables et une campagne publicitaire intense ne sont même pas indispensables pour assurer à l'entreprise un succès massif, tant la cantatrice est irrésistible. Jenny Lind et sa voix cristalline galvanisent les foules et, sous la houlette de l'homme de spectacle, démocratisent l'opéra en ce milieu du 19ème siècle.

     

     


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  • Le messager de la liberté

     

    À Bethel, Connecticut, c'est le temps de l'apprentissage. Barnum fonde un journal The Herald of Freedom (Le messager de la liberté), y fourbit ses armes et ses slogans à l'emporte-pièces. Les calvinistes rigoristes et sectaires des environs en feront les frais. L'un, pasteur accusé d'exploiter un orphelin, voudra défendre sa réputation. Et l'enverra passer deux mois en prison pour lui faire passer l'envie de la politique. Phinéas Taylor retient la leçon. Il épouse Charity et, bye bye les illuminés et les forcenés de la foi, s'installe à New York. Il se reconvertira dans le show business, où il aura des coudées plus franches. Le rapport à la vérité s'y révélera plus adapté à ses ambitions. Il pourra y déployer l'étendue de ses talents de bateleur.

     

    PT Barnum et son épouse Charity Hallet
    https://commons.wikimedia.org/wiki/File:P.T._and_Charity_Hallett_Barnum_c1860.jpg  


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  • 80 wagonConvois, 3 locomotives. Quand, dans la cité, le cirque entre en gare, nul besoin d'un porte-voix pour l'annoncer. Barnum arrive avec sa cohorte d'amuseurs. À cinquante kilomètres à la ronde, la nouvelle doit se répandre. Il a rodé son entrée en scène, le vieux Phinéas ; il a appris à marquer les esprits et, de son empreinte XXL, le réseau ferré du pays. Tant et si bien que l'armée de l'Union s'inspirera de son sens de la démesure. Et voilà le greatest showman intronisé expert en logistique et conseiller militaire, bombardé homme canon de l'acheminement de masse pour massacres en grand large sur les champs de bataille.

    Par Buster Keaton — screenshot, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5130070


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  • Il ne reste que sa queue, relique à l'université Tufts, pièce maîtresse d'une collection disparate. Jumbo a vécu. Il a porté le monde et ses princes. Une palanquée d'enfants opulents et turbulents. Même Churchill et Roosevelt lui auraient monté dessus. À dada sur mon éléphant, le coup de talon dans l'épaule, on tire l'oreille, on défile, on applaudit, fier comme un paon. Le must des attractions. Mais gare au musth qui le rendra moins docile. Un danger pour les têtes blondes, une calamité ambulante. Finie la bête de somme, demeure la bête de foire. Barnum intervient et convertit la machine à livres sterling en machine à bons dollars.

    Photo, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=571926


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