• Faut-il que l'oeuvre soit belle pour résister aussi longtemps à autant d'écoutes. Des dizaines et des dizaines, sans que l'envolée faiblisse. Je trempe ma plume dans la piscine après l'avoir longtemps plongé dans les limbes. Et flotte au-dessus de la lune, porté par les cordes et les murmures du grand Thom. Le souffle ne faiblit pas et emporte vers des contrées insoupçonnées. Combien de mots et de pages noircies ? Les mondes s'ouvrent ; leurs mélodies denses et organiques en donnent les clés.


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    Solveig, l'ange et "Crime and the City Solution"

     

    Dans la salle obscure, Solveig dansait sous le regard amoureux de l'ange, prêt pour elle à brûler ses ailes. Sur la scène, cinq jeunes hommes dégingandés officiaient. Ils ciselaient de la syncope, tels les magiciens métalliques qu'ils étaient. Chaque riff du guitariste accentuait l'abandon. Les vagues se déroulaient et remuaient les entrailles. Sur elles, glissait la voix du sorcier. Vous étiez tenus en haleine, jusqu'à ce qu'une déferlante vous emporte sur les ailes du désir, que les coups du batteur vous suspendent à la barre de la trapéziste. Six Bells Chime répondait en boucle lancinante au mantra qui scandait les errances des anges. Als ich ein Kind war, wäre ich...
    Quand j'avais seize ans, je regardais Solveig danser et je voulais voir le ciel de Berlin.

     


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  • Elles sont rares, les œuvres qui vous ébranlent à ce point, vous laissent dépouillés, lessivés, exsangues après leur découverte. Je connaissais Steve Reich, au moins de nom. Il a fallu un concert (intitulé À l'ombre du génocide), donné au CRAC de Montbéliard, où la pièce en trois mouvements du compositeur américain était restituée, pour que j'en mesure la puissance. Sans doute lui fallait-il, à cette musique, cet état de réceptivité, où l'auditeur plonge dès qu'il se trouve dans une salle de concert, toutes écoutilles ouvertes, disponible, pour frapper sa conscience et lui remuer les tripes. 

    "Different trains"

     

    Hypnotique, brutale, impressionnante, "Different trains" fait vivre une expérience intellectuelle et émotionnelle qui secoue en profondeur l'âme, et qui m'a d'autant plus touché qu'elle m'a rappelé ce projet littéraire auquel j'ai eu la chance de participer, Leitmotive Opus 2, publié aux éditions Jacques Flament, et qui regroupait une trentaine de textes, débutant tous par ces mêmes deux phrases : "Fatigué de lutter contre les forces d'inertie, nous roulions soudés vers la nuit, subissant l'odeur aigre des corps entremêlés. Le bruit sourd et saccadé de l'acier sur les rails étouffait les soupirs." Deux phrases en leitmotiv, comme les boucles répétitives de Reich, lancinantes et hypnotiques, qui ponctuent des textes dont les thèmes se renvoient et dont les regards se croisent comme les trains de la mort croisent ceux de l'enfance américaine de Reich, comme les trains du Reich se superposent dans l'anthologie à ceux, théâtres d'ombres, de notre époque. Et l'analogie se renforce quand les mots des déportés soulignés par les cordes du quatuor, répétés inlassablement, traduction de l'indicible, renvoient à ceux de certaines nouvelles (notamment la mienne : Silence, Terminus), qui reviennent en litanie. 

     

    Nineteen forty, nineteen forty, entend-on scander, mots portés par les déchirements des cordes. He said "quick go"He said "quick go".

    Different trains - Steve Reich

    Et en écho, des noms et des chiffres :
    "Je m'étais interrompu à Marthe Gluck.
    Convoi n°48, avec son mari Altar, dit Jacques, et ses deux filles : Odette et Raymonde.
    Juste les noms et les chiffres...
    Auschwitz Birkenau Marthe Gluck convoi 48.

    Pourquoi Marthe Gluck ?"

    Silence, terminus (extrait), tiré de Leitmotive, opus 2.

    L'effet miroir est troublant et le propos si proche que la "fraternité" (ou au moins la correspondance) de ces œuvres (toute proportion gardée et la supériorité de la musicale évidemment reconnue) s'impose à la conscience.


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