• Marie Pontacq est une La chambre rouge de l'hôtel Sacherexcellente nouvelliste, elle est aussi une romancière de premier plan. Il suffit de lire ce roman pour s'en convaincre.

    – Ce devait être difficile de l'aimer.
    – Très difficile. C'est toujours difficile d'aimer une tombe.
    Ainsi commence ce magnifique texte tendu entre deux mondes, entre Prague et la maison dans les landes, le présent et le passé, la fille et la mère, la lumière et l'ombre. Un texte porté par la quête d'amour, d'identité de la narratrice ; une quête animale, éperdue, où l'enfant sauvage, rejeté, ignoré, nié, aura le silence pour refuge et la nature pour alliée, matrice et complice, nature d'où surgira un homme, le seul avec sa sœur, à lui offrir la possibilité d'une île. Marie Pontacq a un talent fou pour faire parler le vent, la mer et les arbres, bruisser la nuit et personnifier la forêt, des lignes frémissantes de vie qui s'opposent à la présence ou plutôt à l'absence coupante de la mère qui apparaît, en regard, désincarnée et figée dans le marbre de la statue qu'elle s'est, à sa gloire et en rempart, dressée ; une absence contre laquelle la narratrice se cognera encore et jusque dans la vieille cité tchèque, enlisée dans les sables d'un passé mouvant.
    Le lecteur est saisi, troublé, gagné par un sentiment d'oppression, de malaise et bouleversé... notamment par la fin, admirable, la fin qui finit de trouer le cœur et qui renvoie aux deux phrases du début (ce devait être difficile de l'aimer...). Où l'on se demande qui parle, et de qui...
    Le roman figure dans le dernier trio pour le prix Alain-Fournier 2016 et c'est amplement mérité !

    La chambre rouge de l'hôtel Sacher, de Marie Pontacq, chez Jacques Flament éditions.


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  •  Pendant que les mulots s'envolentPendant que les mulots s'envolent est un recueil de nouvelles de Corinne Valton, paru aux éditions Paul & Mike.

    Pendant que les mulots s'envolent, le lapin blanc d'Alice court, court après le temps qui échappe, qui menace. Il y a des horloges, des réveils, des montres, des retards, des rendez-vous manqués ou pas qui enclosent les personnages dans leurs névroses. Le temps se détraque, se dilate ou se rétrécit et l'espace se fissure : le jeu de massacre commence. Les failles temporelles expédient les protagonistes dans un alter-monde qui les rend à eux-mêmes et à leurs démons, mais sur lequel ils n'ont pas prise, sur lequel, malgré tout, ils s'échinent à avoir prise. Car c'est de cela qu'il s'agit, de la place de ces êtres abolis, monades en perdition et au bord de l'implosion, dans l'univers, ou plutôt dans leur univers, aussi réduit soit-il, et qu'ils réduisent le plus possible avec l'illusion que ce sera plus facile, ainsi, de s'en saisir. Une quête désespérée de sens au cours de laquelle chacun se débat et cherche à intégrer son monde/amnios. Les stratégies abondent (son monde, on l'ingère, s'y incorpore, le recompose, l'accommode, l'imagine...). Avec toujours la volonté de se fondre dedans, rêve d'une osmose impossible, désir d'une cosmogonie qui nous engloberait.
    Dire que le recueil de Corinne Valton a une dimension métaphysique et universelle va de soi. Ajouter que le lecteur est pris à la gorge et de vertige, souffle coupé, s'impose aussi. Les nouvelles troublent, ébranlent en profondeur, et l'écriture au cordeau, la langue moderne, inventive, équilibrée, soutenue par une voix puissante et singulière, n'y sont pas pour rien, qui enferrent et empêchent toute échappatoire. Car si les personnages se débattent, se cognent au réel et à ses doubles, l'auteure, elle, nous les restitue avec une maestria et une acuité rares.

    Dans le petit monde des nouvellistes, l'on connaissait les remarquables qualités littéraires de l'auteure ; Pendant que les mulots s'envolent les confirme et révèle un écrivain majeur. Gageons que cela se saura très vite !


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  • Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse

     

    Après Chercher Proust qui narrait les tribulations drolatiques d'un jeune-homme en quête de Proust et de lui-même, Michaël Uras nous offre un deuxième roman tendre, mélancolique et subtil. Par touches délicates, tantôt comiques, tantôt graves, ou les deux à la fois, il dresse le portrait d'un homme entre deux mondes et deux âges, où il est question d'origines et d'héritage, du poids de la filiation et du moyen de s'en affranchir, sans la renier... Équation difficile s'il en est, que l'auteur se garde de résoudre.
    Les pièces s'assemblent en une suite de chroniques douces amères, évocations kaléidoscopiques d'événements aux apparences parfois anodines. Les éclairages se succèdent. L'auteur tisse sa toile, plonge le lecteur non dans une mare poisseuse mais dans un "sfumato" qu'il distille et dilate au fil des pages, de sorte que les contours des différents souvenirs se fondent les uns dans les autres, conférant à ce roman d'apprentissage, derrière sa légèreté de façade, une profondeur et une densité auxquelles le lecteur ne s'attendait pas. L'impression laissée est durable et n'est pas sans rappeler celle que l'on a pu éprouver à la vision de films tels qu'Armarcord de Fellini (sans les envolées oniriques ou surréalistes du maestro). Et l'on se dit, admiratif, que l'écrivain, décidément, a bien du talent. 

    Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse est sélectionné pour le Prix horizon 2016 du deuxième roman francophone..


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  • Oui, et on peut s'en réjouir !

    Un paquet de bonnes nouvelles !

    Beaucoup de bonnes nouvelles à commencer par celles qui émaillent le petit recueil de Danielle Akakpo, Toi, ma p'tite folie, publié aux éditions Zonaires. Sous une plume alerte, avec facétie et toujours beaucoup de tendresse pour ses personnages qui ont une fâcheuse et hilarante propension à confondre leurs désirs avec la réalité, l'auteure nous livre quelques variations sur l'amour et ses illusions assez savoureuses. En quelques lignes, avec un talent éprouvé de conteuse, Danielle Akakpo nous embarque dans ses histoires et les pages défilent sous nos doigts sans que l'on s'en aperçoive. Un mari célibataire le temps d'un week-end de fête nationale, une propriétaire de gîte envahissante, une dame enlisée dans sa vie de couple, un jeune-homme qui se cherche, autant de personnages qui font les frais du regard acéré et caustique de la nouvelliste ; caustique, néanmoins bienveillant, car comme chacun sait : qui aime bien châtie bien !

     

     

    Un paquet de bonnes nouvelles !

     

    D'excellentes nouvelles, aussi, dans le recueil de Valérie Laplanche, Saison désamour, paru aux éditions Jacques Flament. Après son très brillant Impressions Soleil couchant (Ed. La chouette borgne), la nouvelliste confirme de bien belle manière par un ouvrage sombre et sans concession, où l'humanité et en particulier sa part masculine en prend pour son grade. Le regard est affûté, intelligent et le constat implacable. Noir et désespéré, pourrait-on dire, mais c'est sans compter l'humour, l'humour mordant qui rend jubilatoires ces histoires à double face de domination. Par une écriture riche, visuelle et maîtrisée, aux arabesques fluides qui opèrent comme un charme sur le lecteur, l'auteure nous entraîne exactement là où elle le souhaite pour nous "retourner" à l'issue de récits où le faux-semblant règne en maître et où les certitudes tombent. 

     

     


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  • Les livres des Editions Christophe Lucquin sont hors-norme, audacieux et passionnants. Grotte d'Amélie Lucas-Gary ne déroge pas à la règle.

    Grotte

    Le gardien de la grotte millénaire traverse le temps à l'écart du monde, reclus dans son coin. Mais du monde, il est difficile de s'abstraire surtout quand il vient à vous. Les personnages défilent, tous animés de motivations, de désirs différents, en quête de sens ou d'eux-mêmes, de réponses qu'ils espèrent trouver au fond de la grotte. Le lecteur assiste à une succession de saynètes, bestiaire d'une humanité désemparée, véritable ménagerie, où l'on voit la première dame de France côtoyer Ben Laden, Philippe Bouvard ou un extra-terrestre. Les acteurs de ce théâtre d'ombres constituent des archétypes qui renvoient non seulement à La Fontaine mais surtout à Platon et à ses idées... et bien entendu, à sa caverne. Car ici tout est spécieux, et le motif qui domine est le double (ceux mimétiques du gardien, qu'il retrouve en chacun de ses visiteurs et qu'il "absorbe" faisant de lui un être (trop ?) insaisissable et éthéré, celui (ou réplique) de la grotte, allégorie du monde et de l'humanité...). Du réel, ce n'est pas tant le reflet que l'on distingue (comme dans la caverne de Platon) mais son illusion, voire le double. Et l'on songe à Clément Rosset et à son essai Le réel et son double : "... la structure fondamentale de l'illusion n'est autre que la structure paradoxale du double. Paradoxale, car la notion de double, on le verra, implique en elle-même un paradoxe : d'être à la fois elle-même et l'autre."
    Et Amélie Lucas-Gary enfonce le clou. L'histoire se répète. C'est l'éternel retour et le cycle des temps, la roue de la vie. Toujours la même histoire déclinée, éternellement tragique, éternellement comique, où l'on se demande, pris de vertige, ce qu'il en est de la copie quand l'original est un faux.


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  • "Paul & Mike" est un petit éditeur comme on les aime. À l'instar d'un Jacques Flament, d'un Christophe Lucquin, de Quadrature, des Editions Zonaires, de La Chouette Borgne et de quelques autres valeureux, vent debout envers et contre le système qui ne favorise pas leur boulot, il donne à entendre des voix belles et singulières. 

    Ainsi des auteurs de ces deux recueils que j'ai eu la chance de découvrir et dont je disais quelques mots sur le forum Maux d'auteurs, mots que je restitue ici (ce qui me procure conjointement l'intense volupté d'être cité et les délices de l'oisiveté).

    La racine du fleuve - Alain Émery :
    Du Conrad revisité par Simenon ! Il plane indubitablement sur ce recueil et en particulier sur la nouvelle éponyme, l'ombre de Kurtz et de Jim. Et comme l'auteur d'Au cœur des ténèbres, Alain Émery nous plonge dans les tréfonds de l'âme humaine, en se gardant bien de toute explication.
    Chacun connaît le talent du nouvelliste et je n'en rajouterai pas ! Je voudrais juste dire que plus je le lis, plus je suis impressionné, comme si d'oeuvre en oeuvre, il gagnait encore en maîtrise, en justesse, et qu'il se rapprochait toujours davantage d'une forme de plénitude. Et il n'y a qu'à se pencher sur son journal (proposé par Jacques Flament Editions, ici) pour s'en convaincre.

     

    La fuite est un art lointain - Catherine Quilliet :
    La fuite est un art lointain, paraît-il, c'est l'auteure qui le dit ! Et en matière d'art, elle s'y connaît, tant elle maîtrise le sien. Quelle belle voix singulière, qui sait happer son auditoire en deux temps trois mouvements et le plonger dans des atmosphères quasi désincarnées (ou au contraire très incarnées quand l'auteure s'en prend au corps même du langage (voir Pas de course)), désincarnées alors que c'est le corps qui semble être le grand acteur de ces nouvelles, si bien que l'on pourrait presque ajouter en sous-titre de recueil : mon corps, mon ennemi ou mon corps, cet étranger ou plutôt, cette étrangeté... Non pas le corps dans le corps à corps, mais dans le corps à soi-même parce qu'ici, c'est affaire individuelle et souvent une lutte à mort.
    Vous l'aurez deviné : je recommande chaudement !

    Et quand on sait que la maison vient de sortir un recueil de l'excellente nouvelliste Sylvie Dubin, et qu'elle publie aussi Fabien Pesty, l'on ne peut qu'être convaincu de la qualité de son catalogue.


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