-
Un effondrement
J'avais 16 ou 17 ans quand j'ai écrit ce texte. Des années, avec d'autres avant, d'autres après, où je sillonnais, le plus souvent solitaire, les rues de Paris. De la porte de Choisy, où j'habitais, jusqu'aux Halles et Beaubourg en passant par le quartier latin, où j'étudiais. Mon territoire, balisé par les salles obscures que je hantais et qui m'ont fait découvrir le monde, les salles Action, le Champo, L'Escurial, le Reflet Médicis, le Hauteufeuille, le Galande où, pendant des années, l'on a diffusé Brazil et où se tenait (se tient toujours) la grand messe du Rocky Horror Picture Show, et toutes les autres salles, celles des Gobelins, d'Odéon ou des Halles. Mon territoire avec ses points d'ancrage qu'étaient la Contrescarpe, le Luco, les quais et le Vert-Galant, le boulmich ou L'odéon, et les libraires, les disquaires où je traînais, les cafés où l'on se rejoignait et Notre Dame pour phare, à la vue de laquelle, à chaque fois, je me sentais pousser des ailes.
J'avais 16 ou 17 ans, quand j'ai écrit ce texte un peu bancal, emphatique et sentimental, maladroit et ponctué de clichés, néanmoins sincère ; un texte intégré dans un recueil qui depuis dort dans un carton, avec tant d'autres qui l'ont rejoint. Et il y a un peu de cet adolescent, qui est parti en fumée avec Notre Dame. Consumé. Une petite mort.J'avais 16 ou 17 ans quand j'ai écrit ce texte, que j'exhume et restitue tel quel :
Ballade
J'ai fait l'amour sur un toit de Paris avec mon ombre,
Alors qu'un nuage indiscret s'étalait autour de moi.
J'arrêtai le temps pour le chevaucher et m'élançai dans la pénombre.
Je planai, abandonné dans tes possessifs bras,
Ma Dame, qui ont étreint jusqu'au plus laid des hommes.
Prostituée respectable, tu t'es offerte à Quasimodo,
Et aujourd'hui, c'est à moi, éperdu, que tu te donnes.
Je dansai entre les jambes encourageantes du Pont Neuf,
Attiré par les improbables silhouettes que dessinaient les belvédères
Et me jetai dans la Seine, où échoué sur une invisible nef,
Je fus porté vers l'ange qui me frôla de son aile légère.
Je volai au-dessus de la République au regard triste
Et me sentis coupable, coupable de ses détresses ;
Je pleurai et elle posa sur les miennes ses lèvres discrètes.
Mes larmes rejoignirent celles, intarissables, des Champs-Élysées
Et je me laissai conduire par les flots jusqu'à l'Arc
Dont le triomphe faisait pâlir l'obélisque exilé.
Je redécouvris le fascinant et imposant tombeau face au parc
Et le surpris à regretter son allure terrifiante,
Tandis que les rues m'encourageaient de leurs sourires
À les pénétrer, à entrer dans leur insatiable ventre.
J'appréciai le corps frémissant de la rue de Mouffetard,
Me délectai jusqu'à l'ivresse de la sensuelle rue de Buci
Et connus la jouissance avec Saint-Andre-Des-Arts.
Enfin, j'offris mon corps, répandis mon sang, rue Saint-Denis,
Abandonnai mon âme repue sur les toits de Montmartre
Et je mourus pour devenir Paris.
-
Commentaires
Bravo pour ce texte, Benoît, j'y retrouve un peu de l'esprit qui m'animait, sans doute "quelques" années plus tôt. Je dévorais aussi les premiers tomes des Pardaillan de Michel Zevaco et tentais d'y retrouver le souffle épique d'un Moyen-âge coloré, truculent et, surtout, vivant.
Ajouter un commentaire
En ces temps ou ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur, seul le poète, qu’il soit adolescent ou père au foyer, possède les clés de l’éternité. Car il n’y a plus que lui qui soit en mesure de sauver un monde où il ne reste plus que des algorithmes pour dire la vérité et où la jalousie et l’envie préfèrent voir brûler les symboles plutôt que les aimer parce qu’autres, qu’ils n´aiment pas, les aiment.