• La 24ème mort de Janka

    Il s'était évaporé avec le nuage de poussière qui l’avait englouti. Dans un champ miné et l’air soufré d’un matin que les hommes n’espéraient plus. L’ancien avait raconté l’histoire à son fils, qui se l'était gardée pour lui. Des années après, seuls des coquelicots rappelaient l’offense rouge faite à l’avenir. Janka en cueillit un, caressa ses pétales déjà fripés. Il le porta à son nez, scruta son œil noir comme s’il renfermait un secret, renonça à le percer. Il jeta la fleur qui voleta jusqu’au sol, l’oublia.
    Des corbeaux le long des sillons festinaient sans se soucier du temps qui avait passé depuis l’apocalypse. Il les regarda, songea au sang et à la cendre disséminés à travers le pays par les nuées flottantes de projectiles lancés au nom de l’ordre nouveau. Janka plaqua sa main en visière contre son front, plissa les yeux pour se protéger des rayons rasants du soleil et mieux observer les plumages lustrés des volatiles. À leur surface, scintillaient des éclats de lumière, reflets de leurs nuits incendiées endurées sous la boue. Il redoubla d’attention. Il crut reconnaître des feux follets.
    Il décida de les rejoindre. À peine se mit-il en route que les âmes éthérées se volatilisèrent. Sur les ailes des messagers psychopompes, elles se fondirent dans l’azur obscurci, laissèrent derrière elles les ombres occuper le terrain ; les errantes et les amnésiques, dans des nimbes qui montèrent du sol, vapes de chaleur en guise de linceuls. Janka avança, indifférent à la nuit qui rongeait le ciel. Il avait la main au cœur et l’épine entre les doigts. Il savait que tout recommençait toujours.

    La 24ème mort de Janka


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