• Le caverneux roula des yeux et montra à Janka la face cachée de ses orbites. L’Arpenteur y lut le chemin à suivre et l’objectif à atteindre. L’Outreterritoire se déployait à plusieurs volées de steppes d’ici. Lui et ses compagnons mordraient la poussière pendant encore des mois, avant de le rejoindre. Après quelques secondes, Jorg jugea que Janka en avait assez vu et rabattit ses paupières. Il les rouvrit sur les cristallins rouges qui avaient accueilli la tribu. Porta la main à son front ; du pouce creusa le sillon qui le traversait comme s’il désirait en extraire le trajet qu’il leur avait dévoilé. Il parla pour la première fois de leur rencontre.
    — Ne te fie pas à la ligne, elle est trompeuse.
    Janka recula. L’homme ne lui apprenait rien. Il se tourna vers Brindille, l’interrogea des yeux. La Guide haussa les épaules. Qu’espérait-il ? Dès qu’ils l’avaient aperçu, assis en lotus au seuil de son trou, elle avait compris qu’ils n’en tireraient que temps perdu. Sa méfiance, cependant, n’avait pas dissuadé Janka de l’interroger.
    Les caverneux jouissaient d’une réputation usurpée de clairvoyant et abusaient les errants qui remontaient vers le Refuge. Brindille s’en était avisée à tous, décourageant les membres de s’enquérir auprès de lui. Janka n’avait pas voulu l’entendre. Aucune source n’était à négliger, selon lui. Des équipées les avaient devancés sur la trajectoire ; l’ermite avait sans doute capté les échos qu’elles semaient sur leurs parcours, collecté les traces qui s’y étaient enlisées. Il était de son devoir d’Arpenteur de le sonder. La moindre information pouvait leur être utile et faciliter leur passage.
    — Remonte l’erg par la corde du Bazouf. Elle est plus fiable que la ligne, ajouta Jorg.
    Le caverneux dit cela et se tut. Ses lèvres se joignirent, s’agglomérèrent en un bout de chair flasque et homogène. Janka n’en tirerait plus rien. Il happa Brindille du regard, puis ses compagnons, leur adressa d’un signe de tête la direction à suivre vers le nuage de particules.
    Jorg disparut dans son trou au moment où les cendres commencèrent à les ensevelir. Il était temps. Ils s’arc-boutèrent et en bloc s’ébranlèrent.

    La 9ème mort de Janka


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  • Un peu d'air repose sur ma peau
    Rien qu'une pause
    Le poids d'un souffle.

    J'entends la mouche voler.

    Sieste


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  • Il ne reste que sa queue, relique à l'université Tufts, pièce maîtresse d'une collection disparate. Jumbo a vécu. Il a porté le monde et ses princes. Une palanquée d'enfants opulents et turbulents. Même Churchill et Roosevelt lui auraient monté dessus. À dada sur mon éléphant, le coup de talon dans l'épaule, on tire l'oreille, on défile, on applaudit, fier comme un paon. Le must des attractions. Mais gare au musth qui le rendra moins docile. Un danger pour les têtes blondes, une calamité ambulante. Finie la bête de somme, demeure la bête de foire. Barnum intervient et convertit la machine à livres sterling en machine à bons dollars.

    Photo, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=571926


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  • l’œuf me regarde avec un drôle d'air si drôle que je m'inquiète et me retourne vers mon reflet sur la vitre du four qu'est-ce que j'ai qui ne va pas je ne vois pas où l’œuf veut en venir où j'ai trahi sa confiance je n'ai rien de spécial pas de trace de farine sur la joue ni rictus menaçant aucun signe de désespoir non plus pas davantage de mèche rebelle j'arbore un masque impassible et un ovale presque parfait digne du sien et de ceux de ses congénères si bien que je suis obligé de hausser les épaules et d'admettre que l’œuf se méprend il n'a aucune raison de me tirer une tronche de trente-six longs pieds il serait avisé de changer d'attitude et d'arrêter avec sa gueule de travers ma patience a des limites je ne la supporterai pas longtemps il ne gagnera rien à me l'infliger sinon que je finirai par justifier ses craintes et lui donnerai un prétexte de se plaindre en l'explosant contre le rebord du saladier il n'aura plus que sa coquille en miettes pour pleurer le crâne d’œuf et pas question qu'il m'en verse dans la préparation je ne tolérerai aucune intrusion je l'éjecterai sans faiblir quitte à y mettre le doigt et un deuxième si nécessaire qu'il ne se fasse pas d'illusion je ne plierai pas me montrerai intraitable la

    p 937 : tête à œuf


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  • J'aime les poètes persuadés de ne pas l'être, poète.
    J'aime les poètes qui te regardent avec intensité puis qui baissent les yeux, un peu honteux,
    Honteux d'y avoir cru,
    Qui n'y croient plus,
    Qui pourraient y croire, pourtant.
    J'aime les poètes qu'accompagne le silence, qui restent en retrait, à l'écart, à la lisière de la lumière.
    J'aime les poètes qui lancent leurs vers comme des bouteilles à la mer, sans rien en attendre, en lettres mortes, dans l'indifférence absolue, et qui continuent, malgré tout.
    J'aime les poètes qui écrivent sur du sable par tous les vents.
    J'aime les poètes qui égrènent leurs mots dans les déserts, les puits sans fond, sans que personne ne s'en aperçoive.
    J'aime les poètes que l'existence ne remarque pas.
    J'aime les poètes qui n'existent pas.

    J'aime les poètkis


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