• "Si t'as pas de diffuseur, t'existes pas !"

    « Si t'as pas de diffuseur, t'existes pas ! », me dit-on, quand je me retrouve en situation de parler cuisine, avec une personne du sérail éditorial, ce qui n'est pas si souvent. Et il faut bien l'admettre, la nouvelle donne numérique n'y change rien, du moins pas encore : difficile d'exister, en effet, quand on n'a pas de diffuseur... Surtout quand les libraires (pas tous, heureusement !) même indépendants (un certain nombre, malheureusement !) rechignent à commander des ouvrages dès lors qu'ils ne sont pas recensés dans leurs bases de données, répertoriés par les diffuseurs chez qui ils s'approvisionnent. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai fait l'expérience : demander à l'un d'eux le livre d'une petite structure éditoriale, et me voir répondre que non, décidément non, ce n'était pas possible car l'ouvrage ne figurait pas dans leurs listings, que ce serait trop compliqué, que cela prendrait trois semaines, le temps de contacter le fournisseur, de rédiger un bon de commande et tout et tout, qu'il valait mieux me rendre directement sur le site de l'éditeur, car l'éditeur avait forcément un site, hein. De nos jours, ce serait étonnant ! ... Bref, que je me débrouille tout seul ! Et j'y vais sur le site, d'un clic le commande, le bouquin, et le reçois au bout de quarante-huit heures. Et de m'interroger, naïf : pourquoi le libraire n'y va pas sur le site de l'éditeur, pour lui commander direct le livre (juste un clic !!!) ? Ce qui m'énerve le plus, c'est d'entendre ensuite ces mêmes libraires (pas tous, n'est-ce pas ! Je précise ; je ne souhaite pas me prendre une volée de bois vert par celles et ceusses qui s'engagent et s'impliquent pour faire vivre la littérature et qui se sentiraient, à tort, visés ; ceux-là, je les remercie bien sincèrement, leur tresse même tous les lauriers qu'ils veulent. Ouf !) se lamenter quand ils sont menacés de fermeture, incriminer les librairies numériques, et s'ériger en défenseur de la diversité culturelle alors qu'ils se contentent, au jour le jour, de reverser la soupe des grands groupes éditoriaux à l'instar des chaînes qu'ils conspuent (alors qu'ils auraient intérêt, selon moi, à se différencier et à jouer la carte d'une littérature vivante et alternative). Où est cette diversité dont ils se prétendent les chantres ? D'autant que s'il est si facile pour un client de s'adresser directement au petit éditeur pour acquérir l'un de ses ouvrages, pourquoi est-ce que ce même client se déplacerait chez le libraire pour acheter les livres qu'il est encore plus facile de se procurer ailleurs, dans n'importe quel réseau de distribution ? ... Cela dit, en passant...
    Donc, oui, quand on n'a pas de diffuseur, on n'existe pas... ou si peu... L'ennui est que pour un petit éditeur, avoir un diffuseur signe souvent son arrêt de mort, tant la charge financière que représente la participation de cet intermédiaire est importante et qu'il est conduit à rogner sur ses marges, voire à vendre à perte, pour que chaque acteur de la chaîne puisse se "payer". Rares sont les petites structures à avoir les reins suffisamment solides pour assumer dans la durée ce choix d'une diffusion professionnelle et fréquemment, l'on voit l'une ou l'autre de ces maisons, à bout de ressources, mettre la clé sous la porte. Sans oublier le fait qu'elles dépendent de la bonne santé de leur diffuseur, que la chute de celui-ci peut aussi entraîner les leurs...
    Bref, entre le "si t'as pas de diffuseur, t'existes pas !" et le "si t'en as un, t'es mort !", la voie est très étroite pour les petits éditeurs et leurs auteurs. Et il leur faut des trésors d'ingéniosité et d'énergie pour, malgré tout, tenir !

     

    "Si t'as pas de diffuseur, t'existes pas !"

     

     


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  • Commentaires

    1
    danielle
    Dimanche 13 Mars 2016 à 18:42

    Excellente analyse et point de vue que je partage. Je préfère de loin commander en un clic un livre publié par un petit éditeur que je connais pour la qualité de ses productions plutôt que de m'entendre dire:" Cette maison n'est pas répertoriée chez nous, ça va être long et compliqué..." Par contre, si derrière moi on commande les mémoires de machin truc, star de la télé: "Désolé, on  a vendu le dernier hier, mais je vous le commande, vous l'aurez sous 48 h)

    Alors continuons  à faire vivre, plutôt survivre, les petits éditeurs courageux qui, en plus, font largement place à la culture et donnent leur chance à de nouveaux auteurs.

    2
    Nath
    Dimanche 13 Mars 2016 à 20:42

    Je partage complètement. En fait, je crois que tous le monde veut garder sa petite place dans la chaîne du livre et que tout ce qui peut parasyter un système vieux et corrompu et ben on en veut pas ! C'est un problème, un vrai problème et je persiste à croire et à dire qu'il y a peu de vrais passionnés dans tout ce système !

     

    3
    Dimanche 13 Mars 2016 à 21:17

    Comme j'ai précisé sur Facebook

    Ma (toute petite) libraire a accepté sans problème de commander tes deux livres

    et aussi

    une analyse consacrée à la diffusion cette fois côté éditeur numérique http://numeriklivres.info/plaidoyer-pour-liberer-le-livre-de-ses-chaines/?utm_content=buffer3b254&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=buffer

    Mémoire

     

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    4
    Patrick Dupuis
    Dimanche 13 Mars 2016 à 21:32

    Effectivement, ce n'est pas évident d'être bien distribué et diffusé quand on est un petit éditeur. Ceci dit, la vente par internet, la vente directe ainsi que le référencement sur des bases de données comme Electre, Dilicom et d'autres permett d'exister... à condition d'être totalement professionnel. Une petite maison d'édition qui met trois semaines pour envoyer un bouquin, qui envoie des factures mal fichues, qui n'a pas une politique de rappel correcte est tout aussi condamnée que celle qui décide de passer sous les fourches caudines d'un diffuseur-distributeur.

    IL faut bien reconnaître que l'amateurisme est aussi cause de beaucoup de faillites dans le monde de la petite édition... Par contre, une petite maison d'édition qui fonctionne de manière réellement professionnelle verra la méfiance des libraires à son égard s'estomper... la méfiance de certains libraires en tout cas.

    Et le lecteur intelligent saura toujours que si un libraire refuse de commander chez un petit éditeur sérieux il faut impérativement changer de librairie.

    5
    Dimanche 13 Mars 2016 à 21:34

    Oui, il y a de consciencieux libraires qui font leur boulot et je les en remercie bien sincèrement (même si ça peut paraître curieux de remercier des personnes simplement parce qu'elles font leur travail wink2 ! Mais, comme ce n'est pas systématique, celles-là méritent en effet qu'on les félicite).
    C'est la difficulté avec ce type d'articles qui pointent des pratiques réelles : la tendance à mettre tout le monde dans le même paquet. Alors, je le reprécise pour que ce soit encore plus clair : là n'est pas mon intention.

    6
    Dimanche 13 Mars 2016 à 21:35

    Merci à tous pour votre passage et vos interventions !

    7
    Mardi 15 Mars 2016 à 19:36

    Rien à redire.

    J'ai l'impression que ce problème vient du fait qu'on tend à imaginer deux catégories trop tranchées : d'un côté les chaînes (méchantes) et de l'autre les libraires indépendantes (gentilles). Cette image est encouragée par les libraires eux-mêmes et par leurs syndicats. Et on imagine que l'appartenance à une ou l'autre catégorie conditionne forcément toute l'éthique du commerçant.

    Or, dans la réalité des faits, ce n'est pas du tout ça : on a plutôt un continuum entre les bons et les meilleurs libraires (car les libraires, c'est comme les éditeurs : il y en a des bons et des meilleurs). Bref, si le libraire ne veut pas commander, je dirais qu'il faut changer de libraire (si possible, car tout le monde n'habite pas en ville), plutôt que de directement commander soi-même...

    Juste mon grain de sel...

    8
    Mardi 15 Mars 2016 à 19:58

    Ton grain de sel est le bienvenu, Julien ! Merci pour ton passage ! 

    9
    Lza
    Lundi 28 Mars 2016 à 17:26

    Quand on vit en pleine campagne, c'est difficile de se procurer   des livres autres que les " vedettes" du moment .Il arrive même qu"on vous assène que le livre en question n'existe pas... comme une certaine fourmi...

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