• Ma rencontre avec Michel Houellebecq

    On ne se connaît pas. Elle me demande de me déshabiller. Je m’exécute avec empressement. Je ne souhaite pas la contrarier. Son temps est compté. Elle me le signifie en m’indiquant l’endroit où je peux déposer mes vêtements. Il ne s’agirait pas, en plus, de m’étaler.
    Je me présente en tenue de combat. Elle m’ordonne de m’allonger. J’obéis, un peu tendu. Pas très à l’aise. Je redoute la suite des événements. Dès que je suis opérationnel, elle me rejoint. À mon chevet, étreint ma cuisse. S’ensuit un déferlement de palpations, massages, torsions. Elle me tourne dans tous les sens. Me tire d’un côté, me presse de l’autre. Me tâte, me pétrit. Tous mes membres y passent. Mes os, mes muscles. Des dont je n’avait même pas conscience. Des parties du corps que nul avant elle n’avait explorés. Le bas du dos, le milieu, le haut aussi. Les hanches, le thorax, les épaules, la nuque. Elle me malaxe, me broie, me concasse. J’entends des cric et des crac. Et puis, tout d’un coup, elle s’interrompt. Elle recule. Au passage me gratifie d’une petite tapette sur la fesse, en conclusion et en prime.
    — Ça ira pour aujourd’hui !
    Elle s’assied derrière son bureau. Je me relève, laminé, sonné. Peine à me rhabiller. Elle voudrait que je me dépêche. Elle a un autre rendez-vous. Moulu, je vais aussi vite que je peux. Ma dernière chaussure lacée, je me redresse et lui règle la prestation.
    — Je vous programme une séance dans 4 à 6 semaines ?
    — Ah ? !
    — Oui, il faut que vous reveniez. Il y a du boulot.
    — Ah !
    — On dit le 13 mai à 17h. Ça vous va ?
    — Ah ? Euh…
    — Ça vous va ou pas ? Sinon, on peut dire le 14 en matinée.
    — Euh, c’est que… D’accord, pour le 13.
    — On dit le 13 à 17h, alors.
    Puis elle me conduit jusqu’à la porte.

    Je n’ai jamais revu Amina Belkacem. Je me suis défilé.


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  • (...)
    Hier, le beau roman de Laurine Roux, Une immense sensation de calme, a reçu le prix SGDL 2018 de la révélation. La nouvelle me réjouit. L’auteure est puissante ; elle ne le sait pas encore. Sûrement parmi les meilleurs de sa génération, de ma génération. Le genre à vous filer des complexes. Justifiés. J’ai lu plusieurs de ses textes avant ce coup de maître, notamment sur son blog. Des textes denses et lumineux. Ils ne sont pas nombreux les écrivains qui vous rendent intelligents. Après leur lecture, tout semble plus limpide. Vous avez l’impression d’avoir augmenté vos facultés cognitives ; votre perception du monde vous paraît plus précise, plus aiguë. Il y a Proust. Je me souviens du sentiment d’euphorie que m’ont procuré certaines lignes de La recherche, comme si tout s’éclairait. L’évidence. Proust : une référence écrasante…
    (...)

    Journal, extrait du jour J+4, 09/11/2018


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  • (...)
    Je me suis envoyé un exemplaire en recommandé avec accusé réception. La précaution d’usage pour le cas improbable où quelqu’un s’approprierait l’œuvre. Le truc qui n’arrive jamais, qui fait fantasmer l’écrivaillon un peu parano sur les bords. D’aucuns protègent leur œuvre au sein d’organismes, comme la SGDL. Ou autre… C’est payant et c’est à durée limitée. Un business. Un de plus qui joue sur les peurs. On est tellement sûr de son talent qu’on voit des jaloux partout, prêts à nous piller. Je me suis envoyé le roman en recommandé avec accusé réception. Par superstition. Cela suffira. J’ai réduit au maximum les marges, l’interligne et la taille de la police pour contenir le document dans une quarantaine de pages et réduire les frais de port.
    Et à chaque fois, l’impression de passer pour un abruti à la poste. Le pauvre type qui s’envoie des lettres à lui-même. Un bredouillement en guise de justification (je me sens obligé d'expliquer) : « C’est pour avoir une preuve de datation ». L’employé, pas convaincu mais qui réceptionne l’enveloppe. S’il y en a qui ont de l’argent à jeter par les fenêtres, autant que ce soit au bénéfice de la poste !
    (...)

    Journal, extrait du jour J+3, 08/11/2018


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  • (...)
    J’hésite. Très peu de personnes visitent mon blog. Le nombre n’importe pas. Il suffit d’un regard extérieur pour tout changer. Écrirai-je aussi librement si ces lignes sont accessibles ? Sans doute que non. Contrôle. Contrôle. Même si le lâcher prise en écriture me tente. La jubilation à se laisser aller. Le danger de s’exposer. Le risque de blesser, de fâcher. Et l’inconfort des interrogations, des commentaires, des propositions que cela susciterait. L’obligation d’y répondre, de s’expliquer, de se justifier. Ou non. Le droit de laisser dire au risque d’être mal compris, interprété. Cela renvoie à la question de l’existence de ce journal. Pour quoi faire ? Pour moi ? Une expérience strictement personnelle ? Ou envisager une publication ? J’ai déjà des difficultés à éditer mes textes. Comment celui-ci trouverait-il preneur ?
    Ma seule certitude : ce ne sera pas un journal intime.
    (...)

    Journal, extrait du jour J+1, 06/11/2018


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  • (...)
    C’est la première fois que je m’attelle à un journal. Je ne sais pas comment procéder. Une nouvelle expérience littéraire. Une nouvelle discipline à laquelle m’astreindre. Le plus difficile sera de ne pas anticiper.
    Et surtout, ne pas se répéter indéfiniment. Ne pas geindre. Ne pas truquer. Ne pas truquer… Bien sûr que si, je vais truquer. Je truque déjà.
    (...)

    Journal, extrait du jour J, 05/11/2018


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  • Il était un jour
                                       Le poème
    Dans sa bulle éclatée
    À la face du désir.

    L'éphémère

    Le jardin de la fontaine anémone - JP Poiré-Ville (Festival des jardins 2022 - Chaumont sur Loire)


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  • Quiconque côtoie Lucien le sait. Et ça ne date pas d'hier. Max peut en témoigner, qui en a chaque jour la confirmation. Lucien marche à côté de ses pompes surtout quand il roule en vélo. 
    — C'est au cas où je crèverais, explique-t-il à son ami perplexe. 
    Bien sûr. Mais à pieds, il se demande pourquoi il a pris sa bicyclette. D'autant qu'une aurait suffi. Pourquoi s'encombrer de deux ?
    — Ben, parce qu'il y a deux pneus.
    Effectivement, Max n'y avait pas songé. Deux pompes sont nécessaires, à chacune sa chambre à air.
    — Mais si tu pédales pas, ça sert à rien de les prendre.
    — Sauf que si je pédale, je peux pas les porter. J'ai pas quatre bras.
    — Ben, mets-toi un sac à dos.
    Lucien soupire. Max le gonfle plus que ses pompes. 
    — Ah ouais, Monsieur Je-sais-tout, faut que je me mette un sac à dos ! Tu crois pas que j'ai assez d'ennuis comme ça, pour me mettre en plus un sac à dos. 
    — Mais…
    — Rien qu'aujourd'hui, je me suis mis la voisine à dos.  
    — Ah ? … Ben…
    — Elle s'est mise à crier quand j'ai voulu lui donner un peu d'air, avec les pompes. Elle avait l'air crevée.
    — …
    — Elle manque pourtant pas d'air, celle-là… d'habitude…
    — …
    — Enfin… Elle manque pas d'air con, surtout.
    — …
    — Ça m'apprendra à vouloir rendre service.

    Lucien marche à côté de ses pompes


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  • Lucien se dore la pilule

    Voilà l'été ! Les Négresses Vertes le chantent et pas qu'elles. Le moment d'un peu de bon temps. Lucien saisit l'aubaine et sa boîte de vitamines dans son armoire à pharmacie. Tout content et sautillant aux sons des cachets dans les flacons qu'il agite comme des maracas, il rejoint sa table de travail qui lui sert à la fois d'établi, de chevalet et de transat. Il s'assoit devant, ouvre ses pots et répand les petites billes qui roulent sur la plage réservée. Il passe en revue ses couleurs, prend du jaune et du jaune, presse les tubes. La gouache forme des dunes pâteuses dans lesquelles il plonge tête la première un pinceau déjà léché par une vague coincée dans un verre d'eau. Il touille la peinture, enduit les poils, puis tout huilé, s'abat sur une pilule. Lucien ne lésine pas sur la couche. En passe deux pour se prémunir contre les déceptions. Quand il la juge dorée comme il faut, il passe à la suivante.
    — C'est quand même bien sympa, les vacances… soupire-t-il d'aise. 


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  • Lucien pique une tête

    Il fait chaud. Lucien sue tant qu'il décide de passer a l'action. En tenue de combat, torse nu et poils roussis, il s'arme d'une fourchette et descends à l'étage du dessous sans brûler les étapes ni la rampe de l'escalier. Il sonne chez sa voisine, celle qui a la malencontreuse manie de lui échauffer le sang avec ses opinions à brûle-pourpoint. Quand elle lui ouvre, il plante son ustensile au milieu de son front. Il la laisse encornée sur le palier et remonte dans son étuve. Il se sent étrangement soulagé. Son initiative a rafraîchi ses ardeurs. Il a recouvré un peu de sang froid. Au passage devant la porte entrebâillée de son autre voisine, il constate avec satisfaction que l'ambiance, également, s'est réfrigérée. La dame, d'habitude si chaleureuse, le toise d'un air glacial. Lucien en frissonne de plaisir.
    — Y'a pas à dire, ça fait du bien de piquer une tête !


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  • La période est propice et Lucien compte bien profiter de ces temps d'oisiveté grégaire pour prendre un peu de recul, se nettoyer la tête, se divertir. Il se plante devant son armoire à idées, l'ouvre et considère les propositions en rangs d'oignon, pas si nombreuses. Laquelle choisir ? Il pioche au hasard, remet aussitôt l'idée noire à sa place. Il ne va pas penser à autre chose pour déprimer. Déjà qu'il n'est pas au top de sa forme. S'il se change les idées, c'est pour s'alléger l'ordinaire. Il inspecte les piles sur les étagères, les passe en revue. Il ne veut pas d'idée fixe, ni d'idée toute faite, encore moins de préconçue. Il hésite, fouille, ne trouve pas. La solution serait sans doute de cogiter lui même, de se faire des idées, les siennes propres. Mais il craint de se mettre le doigt dans l'œil et il a la flemme. Il est en vacances, pas en état de se triturer les méninges.
    — Faudrait que je me remette les idées en place, un de ces 4, constate-t-il face au bordel ambiant. Pas facile de trouver la remplaçante dans ce fouillis.
    Il contemple, dépité, son fatras d'idées inutiles, se souvient d'une qui lui avait bien plu, l'année dernière. Mais où est-elle ? Il passe la main derrière un tas qui s'effondre, des fois que ça lui en donne, tombe sur une petite. Il la sort de l'armoire. 
    — Bah ouais, c'est bien, ça !
    Une idée comme ça, il en veut bien tous les jours. Il sort de la salle avec son idée, rejoint sa chambre où il se couche direct dans son lit. Il s'étire, content de sa trouvaille.

    Lucien se change les idées


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