• Au col du Bussang, j’ai cueilli un début de Moselle. En offrande, te l’ai présenté, demoiselle. Dans mes mains en conque, je l’ai porté à ton visage brûlant, rougi par les myrtilles, le soleil des chaumes et les heures de marche sur les pentes du Drumont. Tu avais la couleur des montagnes, l’été ; dans les yeux, l’éclat des gazons chauffés à blanc, aux sommets. Tu t’es rapprochée, t’es penchée. L’eau fuyait entre mes doigts intimidés. Je les ai resserrés jusqu’à ce que le bout de ton nez chatouille mes paumes, que ta joue rafraîchie effleure mon pouce. À la caresse, j’ai tressailli. Le réceptacle s’est fendu. Un filet de Moselle a dégouliné le long de mes poignets, a coulé sur mes jambes et mes chaussures. Tu t’es redressée et tu as ri. Ton rire a cascadé comme une goutte des Vosges, demoiselle. Par la brèche élargie, mon dernier brin de Moselle l’a rejoint à tes pieds.
    Tu as lancé les hostilités. D’une claque à la surface de la fontaine, m’as éclaboussé. Nous avons échangé jets de Moselle, avons dansé autour du bassin, demoiselle. Je t’ai attrapée. Tu m’as tendu tes lèvres. Je t’ai embrassée. Toi, ruisselante de Moselle et de mots doux ; moi, tout contre toi, j’ai déployé mes ailes.

    Du col du Bussang, j’ai emporté ton amour, demoiselle, et à mes semelles, la source de la Moselle. L’un s’est tari, l’autre pas.

    Nota : ce texte est paru dans le n°166 de la revue Études Touloises (voir ici).

    À la source


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  • Soudain, partir chez Ska ÉditionsDepuis plusieurs années les éditions Ska tracent leur sillon numérique en offrant à la nouvelle un bel espace d'expression. Une large place y est faite à la littérature de genre avec une forte prédilection pour le noir et le rose. Les éditions ne rechignent pas, cependant, à s'en éloigner pour s'ouvrir à des propositions aux frontières moins claires. Soudain, partir, la nouvelle de Frédérique Trigodet (collection Noire Sœur) est l'une d'elle.
    L'on connaît la nouvelliste, sa curiosité enthousiaste et son attrait pour la littérature, toute la littérature, sa jubilation à se colleter à des genres variés (voire opposés) sans jamais se laisser enfermer dans un seul. Et c'est sans doute l'une des grandes forces de l'auteure que de n'être jamais où on l'attend, où on pourrait l'attendre. Soudain, partir oscille entre les frontières des genres. N'importe quand, le texte est susceptible de verser dans l'un ou l'autre, tant Frédérique Trigodet en connaît les ressorts et sait jouer avec les clichés (la nuit, la rue, un port, l'errance nocturne et les rencontres afférentes) qui les caractérisent. Elle en évite soigneusement les écueils ; mieux : s'en sert pour développer sa narration et son sujet et attiser l'intérêt du lecteur. Car c'est à une analyse psychologique que se livre l'auteure (un suspense psychologique). Le personnage féminin arrive à un de ces moments cruciaux dans une vie qui peut la faire basculer. La tension qui court durant toute la nouvelle est relative à ce basculement et à l'incertitude qui la concerne. Et on le pressent, tout peut arriver. L'auteure, avec une parfaite maîtrise, use du procédé narratif et d'une écriture limpide et sans fioritures pour se livrer à une étude de personnage des plus profondes et subtiles. Et la grande réussite de ce texte est là, dans ce portrait de femme et la sensibilité avec laquelle il est peint. Tout sonne juste et, à mesure que les traits se précisent, que les failles et les rêves enfouis affleurent, l'attachement grandit. L'humanité qui s'en dégage est telle qu'à la fin on en garde une impression durable.

    Soudain, partir, l'excellente nouvelle de Frédérique Trigodet est parue chez Ska Éditions. On peut la trouver dans toutes les bonnes librairies numériques, notamment ici.


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  • Dans la rue où les tueurs de sourires sévissent, les corps s'évitent. Combien de visages tronqués, encagés derrière ces nouveaux murs ? À leur place, des pages blanches qu'aucune encre n'anime, surtout pas de sympathique. En vain, l'on cherche les réactifs, la chaleur, qui les aviveraient.
    Les masques tueurs de sourires sont de sortie ; derrière eux sèment le vide dans les regards. La vie se terre au fond des yeux qui se fuient comme s'il fallait qu'ils se préservent ; la défense du refuge des derniers éclats d'humanité.

    Adieu sourires, bonjour tristesse


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  • Au n°3 de La clarté sombre des réverbères

     

    Retour de l'objet pensant non identifié à périodicité aléatoire ! Un retour que les circonstances imposaient à cette revue placée sous le signe de l'altérité, dirigée par Jacques Flament. Après plus de 5 années d'absence (voir ici, sur mon vieux blog), voici donc le troisième numéro, numéro spécial, non seulement du fait de la rareté de cette publication mais surtout par son sujet puisqu'il se veut un état des lieux du confinement. La revue regroupe les contributions de près de 150 auteurs et illustrateurs autour du sujet, et offre ainsi un tableau kaléidoscopique de la période traversée. J'ai apporté ma pierre à l'édifice avec un petit texte intitulé En boucle.

    Il est recommandé de s'approprier ce numéro collector de La clarté sombre des réverbères, reflet et trace de ce moment hors-norme partagé par tous. On le trouve ici, sur le site de l'éditeur

     

     


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  • Au n°38 de la revue Dissonances : Feux

     

    Le n°38 de la revue Dissonances est paru. Et j'ai le grand plaisir de figurer au sommaire avec un texte intitulé Nuit Cheyenne, écrit sur le thème : Feux. C'est la deuxième fois que cette revue, à la qualité éditoriale éprouvée et qui ne se dément pas, m'ouvre ses pages (après ma participation au n°33 (voir ici, sur le thème Fuir)) et j'en suis très heureux et très fier.

    Le numéro est disponible dans les librairies ou, plus directement sur le site de la revue, où l'on peut, aussi, découvrir son programme


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  • Travis dans la nuitTu suis Travis à travers le désert. Il erre, hanté par le désastre de sa vie.
    Des grands espaces vides. Des lignes rectilignes, lignes d'une fuite impossible.
    Tu entends les mots. Le retour au langage. Tu découvres l'enfant.
    L'enfant et sa rencontre. La trace d'un amour fou.
    Tu les accompagnes, remontes le cours du temps.
    Jusqu'à elle, derrière la vitre sans tain : Jane, son visage, sa voix.
    L'histoire. Leur histoire.
    Tu vois les retrouvailles de l'enfant et de sa mère.
    Tu vois Travis qui y assiste et qui part.

    Travis a recollé les morceaux de sa vie de travers. Une pièce manque, la sienne, et tu pleures. Tu ne peux t'en empêcher. Tu te sens Travis, seul, dans la nuit. 


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  • Janka conjura Dof d’écouter Bazouf. Le vent racontait le passé et en dispensait le remède. Des poussières de la vie d’avant colportées à travers les plaines incendiées. Dans les sillons immunisés contre les regrets, Bazouf divulguait son enseignement et semait les germes de la révolte. Janka huma l’air pour s'imprégner du souffle, absorber sa ligne de force. Il dit à Dof : « laisse ton cœur rouler dans les anfractuosités afin de l’enfanter. Des horizons lavés par Bazouf, viendra la promesse d’une autre vie. » Disant cela, Janka attrapa un grain de vent, le happa, claqua sa langue dessus, le roula dans sa bouche et le cracha au visage de son ami. Bazouf, propulsé, frappa Dof pleine face, explosa en éclaboussures visqueuses. Des gouttes pénétrèrent ses orifices. Dof, colonisé par Bazouf, se jeta dans les bras de Janka, devint le vent qui fuit entre les doigts. Janka ne put le retenir. Il s’accrocha à la queue du souvenir, qui le réduisit en mirage.

    La 2ème mort de Janka


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  • Blotti au creux de mon cou, tu marques ton territoire,
    Le tour du propriétaire,
    Et prends les clés.

    Entre quatre murs, ton petit cœur murmure ; contre mon corps, bat la mesure.

    A double tour


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  • tousse dans mon coude je suis un gars discipliné j'ai l'esprit civique fais où on me dit de faire me conforme aux consignes pas question de retapisser les murs je tousse fallait que ça arrive maintenant je ne voudrais pas prendre cher déjà qu'ils me lancent des éclairs alors que j'ai visé mon pull je ne me sens pas tranquille l'impression qu'ils vont sortir la grosse artillerie m'atomiser m'éparpiller par petits bouts façon puzzle comme dit Bernard ils s'écartent prennent leurs distances je ne suis pas contre ça me fait davantage de place je peux jouer des coudes ça les changera sautiller me dénouer les membres m'étirer j'ai besoin de bouger et puis ça me protège qu'ils se gardent leur virus merci sans façon je ne suis pas client chacun ses miasmes je ne voulais pas sortir bien obligé faut se ravitailler de temps en temps je tousse le nez dans mon coude je suis un gars discipliné j'ai l'esprit civique fais où on me dit de faire me conforme aux consignes pas question de disséminer à tout va les précautions élémentaires je tousse fallait que ça arrive maintenant justement maintenant et pas chez moi les autres se crispent davantage mouvement de panique encore un peu et ils perdent leurs nerfs pourvu que mon tour arrive je ne parierais pas sur leur patience je pourrai toujours leur tousser à la gueule mon moyen de dissuasion les tenir en respect l'équilibre de la terreur afin de préserver mon intégrité je regarde ailleurs je ne tiens pas à affronter leur hostilité elle vire à la haine je me concentre sur le plafond je tousse dans mon coude fallait que ça arrive maintenant et pas chez moi j'en ai plein la manche je suis un gars discipliné j'ai l'esprit civique fais où on me dit de faire me conforme aux

    p 1054 : distanciation sociale

     


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  • change pas grand chose je ne suis pas sociable je ne vois personne je lis j'écris il n'y a pas besoin de monde pour lire écrire et quand en plus on n'a guère de lecteurs et guère d'occasions de les rencontrer personnellement peu de bouleversements à prévoir pendant ce confinement quelques modifications au quotidien je ne sors cours quasi plus il y a davantage de bruit et d'animation à la maison d'attention à apporter à la bonne poursuite des scolarités autant de travail de tâches supplémentaires pas le temps de m'ennuyer avec toute la famille enfermée dans l'appartement je suis moins seul que d'habitude le paradoxe moins solitaire c'est certain ces mesures ne changent pas grand chose je suis asocial l'asocial érigé en modèle je ne pensais pas que cela arriverait un jour l'asocial érigé en modèle je me marre le confinement ne change pas grand chose me donne plus de travail pas le temps de m'ennuyer il ne change pas grand chose je ne suis pas sociable tout me semble si futile vain insignifiant du vent du bruit si futile vain insignifiant que je préfère me taire et écouter que je préfère me taire et écrire j'écris je ne parle pas sauf à mes proches mes très proches je ne suis pas sociable j'écris ce que j'ai à dire je l'écris parce que nul n'est obligé de me lire je n'impose rien à personne j'écris ce que je pense ce que j'imagine je l'écris je ne suis pas sociable j'écris ça ne change pas grand chose la distanciation sociale j'ai toujours été socialement distant à me sentir décalé pas en phase comme dans un jeu de rôles où il n'y aurait aucun rôle pour moi à la rigueur un rôle muet une silhouette qui passe au fond de l'écran sauf avec des proches très proches la distanciation sociale je pratique je sais faire je suis un spécialiste un expert elle ne change pas grand chose à ma

    p 2584 : distanciation sociale


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