• Non, il n'en est pas question. Lucien consent à avaler des couleuvres et des pilules, à manger son chapeau ou à lécher les bottes et les vitrines du libraire, mais il refuse de mâcher ses mots.
    — Merde alors ! Je mâche ce que je veux !
    Il regarde son livre. Il a fière allure, son livre. Il n'a aucune envie de lui donner une mine de papier mâché.
    — Va te faire foutre, Max !
    Son copain le considère, désabusé.
    — Ouais, ben c'est ce que je dis. T'y vas pas avec le dos de la cuillère.
    Il y a des moments où Max lui court sur le haricot et pas que. Qu'a-t-il à insister, comme ça ? Ce ne sera ni avec le dos de la cuillère, ni à la fourchette, il laissera ses mots où ils sont. Il a autre chose à becqueter, merci pour lui, dans son réfrigérateur assez de crème à fouetter pour ne pas avoir à se faire rentrer ses paroles dans la gorge.
    — T'as bouffé du lion, ou quoi ?
    Pas la moindre part ! Il n'en a aucune en réserve. Ni au parc naturel, ni au zoo. Et rien non plus à la sauce lyonnaise. Son pote se goure de menu. Il est à côté de la plaque de cuisson.
    — Tu racontes vraiment n'importe quoi.
    — Oh, ça va... qu'est-ce que t'as à cracher ton venin, comme ça ? 
    Du venin, maintenant ! Et d'où il le tirerait, ce venin ? Lucien soupire de consternation. Max ignore que les couleuvres ne sont pas venimeuses.
    — Bon... tempère Max, qui comprend qu'il ne sert à rien d'envenimer la situation. Et sur le ton de la conciliation et d'un rabibochage en règle : en tout cas, moi je l'ai dévoré, ton bouquin.
    Lucien lève les yeux au ciel. Il en a assez des conneries de son ami.
    — Ben non.
    Max, perplexe, ne voit pas où il veut en venir.
    — Ben si... Je t'assure. Je l'ai dévoré.
    — Ben non, rétorque Lucien en lui désignant son livre sur son étagère. Tu vois bien que tu l'as pas dévoré.
    Max temporise. Quelques secondes de latence, pour remonter le fil de la pensée complexe de son copain. 
    — Non, mais je te parle de mon exemplaire des Lucubrations à moi.
    Lucien est décontenancé. Il scrute son ami. Le bougre paraît sincère.
    — Ah bon ? Tu l'as dévoré ?
    — Oui, confirme Max, satisfait de la tournure plus paisible que prend la conversation.
    — Et... et tu as aimé ?
    — Oh, ben oui, s'empresse de répondre son ami, qui ne veut plus le contrarier.

    Max est reparti chez lui. Lucien, intrigué, tourne autour de ses étagères. Hésite. Se décide. Il prend son livre, en déchire quelques pages, et en lanières les engloutit. Il manque de s'étouffer.
    — Pouah ! C'est mauvais !
    Il file aux toilettes, se libère la trachée et la bouche. Comment Max a-t-il pu apprécier ? Et de conclure que son ami a vraiment des goûts bizarres.

    Lucien ne mâche pas ses mots


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  • Chevaucher l'idée n'est pas la dompter. Je cherche à en saisir l'encolure. Une ruade et me voilà au sol, hagard, dans la nostalgie des trois secondes où, transcendé par l'illusion éphémère de sa clarté, j'ai tenu bon.

    Rodéo


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  • Dans L'Est Républicain du dimanche 3 octobre 2021, un retour bien sympathique, signé Didier Joly, sur l'apéritif littéraire qui s'est tenu le 2 octobre à la médiathèque de Montbéliard autour de Cordes sensibles et des Lucubrations de Lucien.

    Retour sur l'apéritif littéraire, dans L'Est Républicain du 3 octobre 2021


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  • Ma rencontre avec Benjamin Chenez

    Dans la librairie, il y a lui et moi. Il s’approche. Me demande si je le reconnais. Derrière sa moustache, je tente de le percer à jour. N’y parviens pas. Je suis obligé de lui confesser mon incapacité.
    — Benjamin Chenez, éclaire-t-il ma lanterne, en me tendant sa main.
    Je la lui serre. Essaie de gagner du temps. Benjamin Chenez… Je sonde ma mémoire. Enquête expresse. N’en sors aucun Benjamin Chenez. J’hésite.
    — Ah… bonjour.
    Il attend que je le relance. Je ne sais quoi lui dire. M'enquérir de ses nouvelles ? Moment de gêne. Je ne le remets pas du tout. Ignore qui il est et quand j’ai pu le croiser. Il me dévisage, comprend qu’il n’émergera pas de mon inconscient. Il sourit.
    — Heureux de t’avoir revu, Benoit !
    Il s’éloigne en m’adressant un signe de la main, sort de la boutique.

    Benjamin Chenez... Mais qui c’est, ce type ?


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  • La médiathèque de Montbéliard m'a invité le samedi 2 octobre 2021, à partir de 10h30, à rencontrer les lecteurs à l'occasion d'un apéritif littéraire. En compagnie de Pascale Églin et de son équipe de la médiathèque, ainsi que de David Khan Rocks, musicien guitariste (entre autres), qui illustrera musicalement les lectures, j'y présenterai Cordes sensibles et Les Lucubrations de Lucien. Lectures, musique et discussions autour de mes deux ouvrages à prolonger par des échanges autour d'un verre et d'un buffet ! Un chouette moment de convivialité auquel tout le monde est convié ! 

    Apéritif littéraire à la médiathèque de Montbéliard, le 2/10/2021


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  • Dans "Le rapport cauda", chez FPM

    En premier, il y a l'œuvre, un tableau de Jacques Cauda, artiste protéiforme (peintre, auteur, poète...), représentée sur la couverture de l'ouvrage. En second, il y a le regard, celui de 38 auteurs (dont le peintre lui-même, en un exercice réflexif), le regard sur l'œuvre... et ses conséquences. Il en résulte un ouvrage publié par la maison Tarmac : Le rapport Cauda.
    J'ai eu le plaisir de contribuer à ce projet passionnant en apportant le mien, de regard, une vision du monde inspirée par celle du peintre, comme un prolongement post-apocalyptique du récit que j'ai lu, ou cru/voulu lire. Mon texte s'intitule Abattoir.

    Le Rapport Cauda est disponible chez Tarmac ou à commander dans toutes les bonnes librairies.


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  • Le sable l'eau le vent
    Entre les doigts
    La lumière fuit.

    Branches noueuses tamisent le temps
    Son fil s'amenuise. 

    Persiennes


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  • Il est contrarié, Lucien. Depuis que son livre est sorti, il en prend pour son matricule et son grade, alors qu'il n'en a même pas. Même pas le plus petit accessit d'aspirant apprenti. L'on s'acharne sur son cas, se répand en jugements fallacieux. Il passe pour un demeuré, au mieux pour un candide, un naïf, un innocent, au pire et carrément, pour un con. Et ça, à cause de ce type auquel il a donné sa confiance et qui se prétend son ami !
    — Il m'a pas décrit à mon avantage, se plaint-il à son copain Max.
    — Ah, je trouve pas... le rassure ce dernier.
    Lucien ne voit pas où il veut en venir et ignore son allusion qui l'amènerait, sinon, à reconsidérer sa position et à s'orienter un chouia vers une introspection de laquelle rien de bon ne saurait sortir.  
    — Il faut que je rétablisse la vérité.
    — Tu veux casser ton image ?
    Lucien considère son ami. Il a du mal à le suivre, en ce moment. 
    — Quoi ? Quelle image ?
    — Ben ton image ! Tu veux la casser pour qu'ils changent leur regard sur toi. C'est ce que tu es en train de dire.
    Ah bon, première nouvelle ! Il se demande quand il a abordé le sujet, à quel moment il a évoqué les problèmes de vue et de lunettes des lecteurs.
    — Qu'est-ce que tu racontes ? De toutes façons, je n'ai pas d'images. Je n'ai même pas acheté d'album Panini, cette année.
    Max hoche la tête de consternation. Lucien s'en moque. Il n'est quand même pas tenu de s'y coller systématiquement, surtout qu'il ne parvient jamais à remplir toutes les pages. Il y a toujours une vignette qui manque.
    — Je te parle de TON image, Lucien.
    — Oui, ben j'ai compris. Mais j'te dis que j'en ai pas.
    Lucien se dit à part lui qu'il a bien fait de se dispenser de l'album parce qu'il le voit venir, son pote, avec ses gros sabots et ses tongs : il aurait cherché à lui rafler tous ses doubles sans compensation.
    — TON image, insiste Max en lui désignant son bouquin.
    Lucien tourne les yeux vers la couverture de ses Lucubrations.
    — Tu parles de l'image que j'ai dans le livre ?
    Max acquiesce. Lucien se penche vers l'ouvrage, le saisit. 
    — On peut pas la casser, déclare-t-il en le secouant devant lui. À la limite, je peux la déchirer mais je vois pas en quoi cela améliorera l'opinion qu'ils ont de moi.

    Lucien casse son image


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  • Ma rencontre avec Richard Bohringer

    Je sirote un verre sur la terrasse d’un bar, au bord de l’Atlantique. J’ai choisi un cocktail. Je ne me souviens plus lequel. Une caïpirinha. Ou un mojito. Ou un bloody machin chose. Peu importe. Je me souviens que j’apprécie. Vue magnifique, douceur estivale, conditions optimales. Je profite du moment.
    À la table d’à côté, il y a Richard Bohringer. Il est tout seul. Il fait la gueule. Pas comme moi. G m’accompagne. Bohringer, lui, est tout seul et il fait la gueule. Sans doute qu’il préfèrerait être ailleurs. Il est là en raison d’un petit salon du livre organisé par la cité bretonne ; il a été invité à y participer. Pas moi. Moi, je suis là, parce que je suis en vacances. Lui, il bosse.
    Il a laissé ses livres sur sa table de signatures, s’est octroyé une pause. Il se détend. Du moins est-il sensé se détendre. Ça n’a pas l’air si simple. Il vide doucement son verre. Je ne me souviens plus de ce qu’il boit. Je ne me souviens déjà pas de ce que je bois, moi ; comment me souviendrais-je de ce qu’il boit, lui ? En revanche, je me souviens qu’il fait la gueule. Peut-être pour qu’on le laisse tranquille. Une habitude qu’il a prise afin de décourager les importuns. Qu’on ne l’accoste pas. Une technique efficace. Personne ne le dérange. On le reconnaît, pourtant. Les passants, sur la promenade, le repèrent. Des coups d’œil, des coups de coudes et de menton le désignent discrètement aux proches. Nul ne se risque à l’aborder. On respecte sa solitude. Comme moi.
    Je l’aime bien, Bohringer. Il fait la gueule. Je l’aime bien. Bonhomme bourru, bonhomme bougon, dont l’humanité transpire par tous ses pores et les personnages qu’il a interprétés. Je l’aime bien. J’appelle le serveur. Je règle l’addition. J’en profite pour régler aussi celle de Bohringer.
    — Ne le prévenez pas.
    Non, surtout, qu’il ne lui dise rien. Je n’ai pas envie de m’en prendre une, ni de me faire engueuler. Le serveur acquiesce et encaisse. Avec G, on quitte notre table, s’éloigne du bar. Je suis content ; j’ai payé son coup à Bohringer qui fait la gueule.

    Nous nous éloignons. Suffisamment à l’écart, je me retourne. Je ne résiste pas à la tentation d’observer la scène. Curieux de voir la réaction de l’acteur quand le serveur lui annoncera que sa consommation est déjà payée. Même s’il doit être habitué. Habitué à ce qu’on l’invite. Je m’adosse à une balustrade, sur la promenade, malgré G qui voudrait avancer.
    Bohringer, toujours à sa table, termine son verre. Il appelle le serveur, fouille dans ses poches. Le serveur arrive. Un bref échange s’ensuit entre les deux hommes. Bohringer sort un billet, paye. Le serveur lui rend sa monnaie puis vaque à son service. Bohringer se lève et s’en va.

    J’aurai donc laissé un bon pourboire au serveur. Je souris. Le jeune homme a davantage besoin de sous que Bohringer de mon coup. C’est mieux comme ça.

     


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  • En société, il a l'euphorie factice, le rire forcé et le regard fou qui font fuir les gens comme il faut.
    Nulle part à sa place, à côté de la plaque,
    Seul.

    Alors qu'il voudrait se frotter à la foule, la fendre d'un sourire facile.

    Il ne sait pas y faire.

    Décalé


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