• Ma rencontre avec Richard Bohringer

    Ma rencontre avec Richard Bohringer

    Je sirote un verre sur la terrasse d’un bar, au bord de l’Atlantique. J’ai choisi un cocktail. Je ne me souviens plus lequel. Une caïpirinha. Ou un mojito. Ou un bloody machin chose. Peu importe. Je me souviens que j’apprécie. Vue magnifique, douceur estivale, conditions optimales. Je profite du moment.
    À la table d’à côté, il y a Richard Bohringer. Il est tout seul. Il fait la gueule. Pas comme moi. G m’accompagne. Bohringer, lui, est tout seul et il fait la gueule. Sans doute qu’il préfèrerait être ailleurs. Il est là en raison d’un petit salon du livre organisé par la cité bretonne ; il a été invité à y participer. Pas moi. Moi, je suis là, parce que je suis en vacances. Lui, il bosse.
    Il a laissé ses livres sur sa table de signatures, s’est octroyé une pause. Il se détend. Du moins est-il sensé se détendre. Ça n’a pas l’air si simple. Il vide doucement son verre. Je ne me souviens plus de ce qu’il boit. Je ne me souviens déjà pas de ce que je bois, moi ; comment me souviendrais-je de ce qu’il boit, lui ? En revanche, je me souviens qu’il fait la gueule. Peut-être pour qu’on le laisse tranquille. Une habitude qu’il a prise afin de décourager les importuns. Qu’on ne l’accoste pas. Une technique efficace. Personne ne le dérange. On le reconnaît, pourtant. Les passants, sur la promenade, le repèrent. Des coups d’œil, des coups de coudes et de menton le désignent discrètement aux proches. Nul ne se risque à l’aborder. On respecte sa solitude. Comme moi.
    Je l’aime bien, Bohringer. Il fait la gueule. Je l’aime bien. Bonhomme bourru, bonhomme bougon, dont l’humanité transpire par tous ses pores et les personnages qu’il a interprétés. Je l’aime bien. J’appelle le serveur. Je règle l’addition. J’en profite pour régler aussi celle de Bohringer.
    — Ne le prévenez pas.
    Non, surtout, qu’il ne lui dise rien. Je n’ai pas envie de m’en prendre une, ni de me faire engueuler. Le serveur acquiesce et encaisse. Avec G, on quitte notre table, s’éloigne du bar. Je suis content ; j’ai payé son coup à Bohringer qui fait la gueule.

    Nous nous éloignons. Suffisamment à l’écart, je me retourne. Je ne résiste pas à la tentation d’observer la scène. Curieux de voir la réaction de l’acteur quand le serveur lui annoncera que sa consommation est déjà payée. Même s’il doit être habitué. Habitué à ce qu’on l’invite. Je m’adosse à une balustrade, sur la promenade, malgré G qui voudrait avancer.
    Bohringer, toujours à sa table, termine son verre. Il appelle le serveur, fouille dans ses poches. Le serveur arrive. Un bref échange s’ensuit entre les deux hommes. Bohringer sort un billet, paye. Le serveur lui rend sa monnaie puis vaque à son service. Bohringer se lève et s’en va.

    J’aurai donc laissé un bon pourboire au serveur. Je souris. Le jeune homme a davantage besoin de sous que Bohringer de mon coup. C’est mieux comme ça.

     


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