• La 3ème mort de Janka

    À coups de talon, Janka brisa la glace. Des éclats blancs, comme du verre pilé, comme des grains du gros sel qui la fondait et qui lui manquait, poudre de perlimpinpin. La plaque fendillée de partout finit par exploser sous la violence de ses assauts. Janka s’épongea le front.
    — Tu vas te casser la figure, lui répéta le père, qui s'était assis sur le seul rocher où bavaient les rayons de soleil du moment.
    Janka n’écouta pas. Il martela le sol des pieds. Puis, passa ses semelles dessus afin d’en apprécier la surface. Le père racontait n’importe quoi. Ça ne glissait pas.
    — Ça glisse plus, répondit-il, on peut y aller.
    Il n’attendit pas l’autorisation ; il risqua un pas puis un autre. Le terrain pilonné remplit son office et lui assura une progression stable. Un mètre tranquille sur ses pattes, jusqu’à ce qu’une lame traîtresse l’envoyât par terre.
    — J’te l’avais dit. T’écoutes jamais.
    Le père se leva, se dirigea vers lui, tendit une main pour l’aider à se redresser.
    — On peut pas passer, expliqua-t-il pour la quinzième fois, c’est pas la peine d’insister.
    Janka saisit la main offerte, s’agrippa rageusement à elle. Il ne s’était pas blessé sauf à son amour-propre. Et il en voulut au père, auquel la faute incombait. Il tira aussi fort qu’il le put sur le bras, dans le secret désir de le déséquilibrer ; qu’il tombât aussi, se fît mal, pourquoi pas. Mais le père tint bon ; sur de meilleurs appuis, résista à la traction du fils, qu’il attira vers lui.
    — Aïe ! hurla Janka. Tu me fais mal.
    En le tirant, le père l’avait cogné contre un bloc de glace. Le garçon en rajouta sur la douleur, exagéra la plainte, sans parvenir à culpabiliser l’homme qui, agacé par ses simagrées et sa mauvaise volonté, le réprimanda.
    — Tu pourrais y mettre du tien, aussi !
    Le regard que lui lança Janka fut plus tranchant que le froid qui le transperça. Il se dégagea de l’étreinte paternelle. Serra les poings. Ses gants trempés lui brûlèrent les doigts, l’obligèrent à les déraidir. Il attrapa alors un fragment de glace, qu’il jeta contre le sol en direction des pieds du père, vers lesquels il s’éparpilla en mille bris de colère.
    — Eh, s’indigna l’homme, faut te calmer ! J’y suis pour rien si t’es tombé.
    Janka n’en pouvait plus de l’entendre. Il voulait qu’il se tût, qu’il disparût. Il se hissa sur ses bras, ramena ses jambes sous lui, s’agenouilla puis bascula sur ses pieds pour se propulser vers l’homme et son estomac et s’affaler mollement le nez contre son ventre. Le père, étonné, digéra l’attaque en reculant d’un pas et saisit le fils par les épaules, prêt à lui remettre les idées en place. Lorsqu’il découvrit son regard embué de givre, il retint son geste et, quand il décela la haine qui le réchauffait, y renonça. Il le lâcha, s’écarta, se détourna. Il contempla autour de lui la vaste étendue de glace qui les cernait, considéra l’îlot sur lequel ils avaient échoué. Il soupira, revint au rocher et se rassit.

     

    La 3ème mort de Janka


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