• La 21ème mort de Janka

    La 21ème mort de JankaElle avait trois cœurs en pendentif qui caressaient son nez lorsqu’elle se penchait au-dessus de son front et embrassait ses cheveux. Janka faisait semblant de dormir. Elle se redressait et tandis que les cœurs balançaient leur ombre sur ses paupières, elle lui effleurait la joue du bout de ses doigts, qui étaient toujours froids. Ce contact-là, il l’aimait moins ; alors, il ouvrait un œil. Elle choisissait ce moment pour plaquer sa bouche contre la sienne et insinuer sa langue entre ses lèvres. Il la laissait explorer sa cavité, se lover dans ses recoins. Quand il en avait assez, il la mordait. Son corps se raidissait. La douleur contractait ses membres, sa peau, jusque sa langue qu’elle ne retirait pas, d’où s’écoulaient trois gouttes de sang, qui lui donnaient envie de vomir. Il la repoussait. La harpie hurlait et s’enfuyait à travers les quatre murs de sa chambre. Il se levait, courait à sa poursuite. Sur le rebord de la fenêtre, il hésitait à sauter. Il ne la voyait déjà plus.
    Janka crachait sa bile dans le lavabo. Sa salive dégoulinait en filament rouge, s’entortillait autour de la bonde, se dévidait le long de la canalisation. Il glissait sa main à l’intérieur, puis son bras, enfin lui tout entier. Et chutait d’une centaine de mètres, ricochait d’une paroi l’autre. Le voyage ne durait pas longtemps. Il débouchait dans le méandre d’une rivière qui lui rappelait la mer au temps où elle était torturée. Le soleil dardait ses rayons mous. La surface blanchissait et les reflets de la lune s’accrochaient aux élodées. Janka ignorait pourquoi il nageait là. Se demandait s’il avait pris la bonne direction. Il tentait de remonter le courant mais la rumeur enflait, l’attirait vers la ville. Si bien qu’il arrivait poings liés, tête basse, au pied d’un mirador. On le jetait aux oubliettes d’un désert gris. Il criait, tapait sur le carrelage qui résonnait en criblant ses tympans de sons poisseux. Il les extirpait du fond de sa gorge, les lançait contre les barreaux, s’épuisait en vain. Dans la cellule, personne ne l’entendait, pas même les rats qui grouillaient au creux de son ventre, qui se foraient un passage à travers ses orifices. Il préférait leur céder le terrain.
    Les oreilles des rongeurs frétillaient quand ils lui parlaient et leurs vibrisses traduisaient son désarroi. Il ne comprenait rien. Acquiesçait néanmoins du menton, bombait le torse, courbait l’échine. Peine perdue, ils se lassaient de ses dévotions et renonçaient à lui indiquer la route. Janka était contraint de ramper dans le sable sans savoir où creuser. Il s’accrochait à la queue d’un scorpion numéro 1, d’un scorpion numéro 2, dévalait les pentes d’une dune jusqu’à un oasis où il la retrouvait enfin. Elle recousait sa langue avec du fil de mygale, qu’elle débobinait d’une toile de tente tendue, déformée par le poids de ses proies piégées. Tandis qu’il approchait, elle paniquait. Elle ne l’attendait pas, n’était pas prête à l’engloutir. Délicat, il se retournait afin de ne pas la gêner, la laissait s’apprêter. Elle ne perdait pas de temps, se déshabillait dans la fente de son crâne, élargissait les fossés d’où suintaient des bruits de succion. Perplexe, il mesurait la longueur de son sexe. Il en attrapait des suées qui n’avaient que peu à voir avec l’étuve au centre de laquelle elle le serrait contre elle. Elle l’enlaçait ou c’était lui qui l’enlaçait. Leurs jambes nouées, il bavait sur ses seins, alors que les trois cœurs en pendentif roulaient par terre. Elle effeuillait leur verge qui valsait dans ses entrailles. D’un bord à l’autre, au point de lui décoller les rétines et de le rendre à la fétide marée. Il essayait de se retenir. Ses doigts qui couraient le long des racines ne lui rendaient pas la tâche aisée. Il la plantait, s’agrippait à ses hanches, les repoussait, incurvait la cambrure de ses reins. Sous ses ongles, l’écorce se délitait. Il écorchait un grand arbre grimaçant qui les flagellait de ses ramures et volait leurs soupirs. Le poison se répandait dans ses veines. La sève suintait par leur vagin. Il redoutait le moment où sa peau s’effriterait, où sa chair à vif, elle sucerait la moelle de ses lésions internes. Il errait sur les lisières d’un dédale dont elle colmatait les issues. Janka était cerné. Il sombrait, s’endormait.
    Ses trois cœurs en pendentif caressèrent son nez, lorsqu’elle se pencha au-dessus de son front et embrassa ses cheveux.

     


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