• Il s'accroche aux petits riens parce que, dans sa vie, c'est tout vide. Il traque l'instant pour l'en combler, comme un ballon de baudruche qu'on dilate jusqu'à ce qu'il explose, dont on récupère les morceaux de latex déchirés en leur découvrant des vertus paysagères. Il étire la matière, elle lui claque entre les doigts. Ça lui fait des étoiles filantes, quand il ferme les yeux. Et il se dit que l'existence, décidément, réserve des surprises.

    Les petits riens

     


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  • Elle et lune ont la tête haute, la tête si haute que sur la pointe des pieds, même le bout du doigt ne parvient à gratter la fossette de leur menton.
    « Prends un balai, dit l'idiot, tu leur feras avec, une moustache. »

     


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  • au tour de la chaussette jaune d'être trouée c'est triste mais il faut se rendre à l'évidence se résigner et accepter son sort je n'ai pas le choix mon gros orteil que ça lui plaise ou non est condamné à s'exhiber il se rétracte tente de tirer à lui les mailles en bordure pousse ses frères dans leurs retranchements afin qu'ils lui cèdent un peu de terrain à l'abri des courants d'air la démarche est vaine ils ont beau être unis comme les doigts du pied quand il n'y a plus de place il n'y a plus de place le pouce n'a qu'à assumer son air bête révélé au grand jour et supporter l'impudeur qui lui est imposée il n'est pas fier le pauvre je sais à quel point cette exposition lui coûte qui préfère la discrétion passer inaperçu et vivre caché pour vivre heureux il se sent vraiment idiot là à travers le trou de la chaussette jaune je compatis comprends son désarroi sa situation est délicate c'est ainsi je n'y peux rien du moins pas pour le moment il devra vaincre sa timidité et affronter le ridicule les regards en biais les sourires narquois vivement que j'enfile ma chaussure espère-t-il qu'il souffle un peu retrouve un chouia d'intimité je sais ce qu'il pense que je pourrais enlever la chaussette la remplacer ou la remiser ce serait sympa faut pas rêver non plus j'ai d'autres priorités que de combler le trou j'ai des responsabilités je le lui explique inutile d'insister de me faire l'ongle doux il n'en est pas question et puis n'exagérons rien ce n'est pas si grave pas de quoi m'obliger à prendre une aiguille et du fil il y a des limites déjà que le lecteur s'ennuie je ne vais pas en plus lui infliger une séance de raccommodage avec le bout du fil à effiler dans la bouche puis à introduire dans le chas à essayer réessayer me voilà contraint d'enlever mes lunettes parce que je peine à y voir le fil m'échappe me glisse des doigts où est-il je l'avoue je ne suis pas très habile de mes mains et les travaux minutieux me portent sur les nerfs d'autant que moi aussi je vieillis à l'instar de la chaussette jaune elle c'est le trou moi c'est presbyte et des cheveux blancs et des rides alors 

    l'heure de la chaussette jaune


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  • J'ai déjà du mal avec "auteur" ; avec Écrivain, impossible de m'habituer, la gêne, ça me met mal à l'aise, l'impression d'être un imposteur. Le costume est trop large je ne suis pas taillé pour. Écriveur, à la rigueur ; écrivaillon, encore mieux, même si la dénomination est péjorative... et cruelle lorsqu'on songe à la somme de travail abattu, au nombre de pages empilées, à la quantité de mots biffés. Tout ça pour ça : écrivaillon. Scribouillard, je préfère. Le terme est plus sympathique. Il a un côté attendrissant et me rappelle la tante Julia. À partir de quand s'estime-t-on écrivain ? Jamais, probablement... On se dit quand je serai édité, oui, quand je serai édité, je pourrai me sentir écrivain puis quand j'aurai publié deux livres trois cinq dix quand je serai lu que je toucherai des droits d'auteur suffisamment pour être affilié à l'AGESSA qu'on me trouvera dans toutes les librairies qu'on me sollicitera aux quatre coins du pays du monde de l'univers que je fraierai dans les académies que je hanterai les manuels scolaires je me marre ou quand je prendrai la pose air inspiré et tourmenté et tout et tout pour "faire" écrivain sur la photo je me sentirai écrivain m'y croirai j'en doute le redoute ce serait la fin l'embaumement le moment d'arrêter d'écrire où l'on se regarde écrire. 

    Ecrivain, c'est quand qu'on y est ?

    "Figure du grand écrivain"
    Victor Hugo, par Auguste Vacquerie (1853) source Wikimédia


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  • La barbue, mascotte des poilus

     

     

    La grande guerre dévaste la Lorraine. La clientèle du café est partie au front. Clémentine donne alors de sa personne. Infirmière au chevet des blessés, au service de la Croix Rouge, son dévouement est tel qu'il force l'admiration. Sa réputation fait le tour des casernes. On célèbre sa pilosité généreuse, l'intronise marraine, bonne fée et mascotte de la soldatesque velue. D'aucuns iront jusqu'à se tatouer son portrait sur leur ventre, barbe garantie en poils véritables de leur pubis.

     

     

     

     

    Source photo : gallica.bnf.fr


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  • Les 11 fioretti de François d'Assise est un film de Roberto Rossellini. J'ai découvert, il y a peu, cette œuvre lumineuse (je me réjouis quand je pense à tout ce qu'il me reste à découvrir et de savoir que je n'en viendrai jamais à bout) et je souhaitais partager ici mon enthousiasme à travers trois plans. Juste trois plans !

    Le ciel et la terre. Le limon et l'éther. L'un et l'autre. L'un dans l'autre. Où l'un devient l'autre. Où l'un est l'autre.
    Il y a ce plan, au début, où les moines, quittant le monde institutionnalisé pour le vrai, libéré par le pape Innocent des chaînes qui les liaient à l'orthodoxie et du carcan de l'église, sous un déluge se recroquevillent contre des pierres, pans de murs délabrés. Le retour à la matrice. Le refuge au sein de la terre. Les hommes acculés se serrent, puisent leur force dans la chaleur de l'autre, la matière et la corporéité, alors que leurs visages sont englués dans le ciel, livrés aux trombes d'eau qui déferlent sur eux. Baptême, onction, purification. Le ciel leur tombe à proprement parler sur la tête. Le poids de la responsabilité qui leur échoit. Le prix de la liberté. Entre le ciel et la terre, la jonction se fait. La place est à la grâce. Un plan auquel répond un autre, à la fin du film, où dans une parfaite dialectique, symbole du chemin spirituel parcouru par Saint François et ses frères, l'on voit après qu'ils se soient fait battre et refouler par un homme auquel ils demandaient l'aumône, les corps enlisés dans la boue, avancer difficilement, alors qu'autour d'eux volent des flocons de pollen, comme des étoiles autour de leur tête. La pesanteur et la légèreté. Les personnages, malgré leurs pieds dans la glaise, semblent en suspension. Une éclatante lumière finit de les dématérialiser et d'emporter leur esprit par-delà les espaces aériens. La victoire de l'âme libre, délestée du soi, comme diraient les bouddhistes.
    Un troisième plan, central et à couper le souffle, reprend ce motif des étoiles. La séquence se déroule au milieu du film. Il s'agit de celle du lépreux, muette et tournée en nuit américaine (de jour, avec des filtres pour donner un effet de nuit). François prie au milieu de la nature, quand il entend la crécelle d'un lépreux. Il se porte à la rencontre de l'infortuné, qui semble tout droit sorti d'un film de Kurosawa, tel un de ces esprits ou protecteurs de la nature qui hantent l'œuvre du Japonais, et l'embrasse. L'un et l'autre sont gênés. On voit toute la maladresse du moine qui ne sait trop comment s'y prendre pour manifester sa compassion, son amour, sa fraternité, ainsi que la surprise du malade qui se demande s'il n'est pas tombé sur un fou, lui qui n'est pas habitué à ce genre d'effusions. François l'étreint, l'autre se méfie, s'écarte, l'observe. Il y a, comme dans tout le film, du comique, du burlesque dans cette situation. Et une indicible grâce qui se diffuse. Une grâce que décuple ce prodigieux plan qui suit, où le saint, conscient de son incapacité à soulager ses frères de la misère humaine, qui voudrait porter sur ses seules épaules toute la souffrance du monde, se laisse tomber par terre, face contre terre et prie en pleurant, au milieu d'une prairie constellée de pâquerettes éclatantes comme des étoiles. La caméra se redresse, se lève et s'arrête sur le ciel nocturne, lui, vierge de tout astre. L'inversion est réalisée. Le ciel est la terre. Où comment d'une limitation technique (un ciel en nuit américaine est dénué d'étoiles, puisque filmé en plein jour), on produit du sens et de la poésie. 

    Les nuits américaines sont sans étoile.


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  • J'ai déjà dit, ici, tout le bien que je pensais du blog d'Erik Vaucey et de son initiative de mettre à l'honneur la nouvelle et les auteurs, à travers des interviews vivantes. De semaine en semaine, le blog s'est imposé comme un passage incontournable pour tous les nouvellistes et amateurs de nouvelles. Il s'est, en plus et récemment, enrichi des nouvelles inédites de quelques auteurs, qui permettent de prolonger ces entretiens de la façon la plus agréable qui soit. J'ai ainsi proposé l'un de mes textes afin d'être, moi aussi, de la fête. Ma nouvelle s'intitule A longueur d'ondes (3ème prix à Montrouge en 2015) et vous pouvez la lire, ici, à la suite de l'entretien qu'Erik Vaucey a bien voulu me consacrer. 


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